Josette ELAYI Transeuphratène

Activités de recherche - Josette ELAYI

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Articles de presse

de Josette ELAYI


1. Article de La Dépêche, 25 juillet 2004, « La chercheuse du Couserans est en colère », interview par Jean-Christophe Thomas.

 

2. Article de Métro, 8 septembre 2004, « La parole à Josette Elayi, Chargée de recherche au CNRS, auteur de Pièges pour historien et recherche en péril » (Propos recueillis par Claire Cousin).
-La crise de la recherche, selon vous, ne se résume pas à une question de crédits ?

Le problème des crédits existe et le mouvement des chercheurs, récemment, a eu le mérite de provoquer une crise de conscience du public. Mais les raisons profondes de la crise résident dans le fonctionnement ou plutôt les dysfonctionnements des institutions. Les vingt et un membres de la commission de ma section (section 32), par exemple, siègent dans l’opacité la plus totale. Nous n’avons plus accès à notre dossier, il n’y a aucune transparence dans les prises de décision.

-Ces décisions vous paraissent-elles contestables ?
La commission est composée de chercheurs ayant un niveau inférieur à ceux qu’ils jugent. Il n’y a qu’à consulter et comparer les publications des uns et des autres pour s’en convaincre. Comment voulez-vous qu’ils soient compétents ? Ils promeuvent des chercheurs médiocres qui ne peuvent leur porter ombrage ou qu’ils veulent favoriser (par clientélisme, copinage ou pour cause de discrimination sexiste). Résultat : la recherche française se sclérose et n’est plus du tout compétitive.
-En quoi votre parcours est-il exemplaire ?
Je suis chercheuse en histoire ancienne depuis 1982, j’ai publié une quinzaine d’ouvrages et plus de cent articles spécialisés, j’ai fondé une collection et une revue et j’ai fait 17 demandes de promotion qui ont toutes été refusées, sans explication.
(Propos recueillis par Claire Cousin).

 

3. Article de L’Humanité, 27 octobre 2004, « Les vrais problèmes rencontrés par la recherche », Tribune de Josette Elayi, chercheur au CNRS en histoire ancienne.
Tout le monde sait que la recherche française est en péril, mais les médias ont surtout donné la parole aux chefs de labos, souvent déconnectés de la recherche parce qu’ils n’ont plus le temps d’en faire. Bien que je sois un simple chercheur sans aucun poids dans les stratégies du CNRS, je crois avoir mon mot à dire sur cette crise car j’ai une longue expérience du combat pour l’histoire et de la réussite scientifique d’un groupe de recherche, et que mon cas personnel illustre de manière flagrante les dysfonctionnements du CNRS.
1. Quel est le vrai problème des crédits ? L’opinion publique a été manipulée si les Français croient que la crise de la recherche sera résolue par l’augmentation des crédits. Certes, ils sont insuffisants par rapport à d’autres pays, mais ils sont surtout mal utilisés, et la vraie question est : « Où va l’argent ? » ; mais surtout, ce ne sont pas toujours les personnes les plus compétentes scientifiquement qui les obtiennent et les répartissent. Par exemple, en dehors de mon salaire, dans les 4 labos successifs auxquels j’ai été rattachée depuis 22 ans, je n’ai même pas eu droit à une seule photocopie gratuite. Pourtant, un chercheur qui, comme moi, publie énormément, fait de l’édition et organise beaucoup de rencontres internationales, a des besoins financiers : il doit sans cesse chercher des mécènes au détriment de son temps de recherche et financer lui-même une partie de ses projets.
2. Le problème fondamental, qui est à l’origine de plusieurs autres, est le déficit d’évaluation des chercheurs, l’évaluation étant la composante-clé de tout système de recherche. A plus forte raison, l’évaluation doit s’appliquer aux évaluateurs et à ceux qui élaborent les stratégies de la recherche. On a dit qu’elle devait être « démocratique et effectuée par les pairs » : certes, mais comment garantir une évaluation indépendante et scientifiquement correcte ? Plusieurs commissions pratiquent l’auto-évaluation et le « self-service » (en favorisant les chercheurs de leurs labos). Par exemple, dans la section 32 du Département des Sciences de l’Homme et de la Société, les évaluateurs orientalistes ont un dossier scientifique très inférieur à celui de la plupart des chercheurs qu’ils doivent évaluer, et les évaluateurs universitaires n’ont jamais été évalués. Aussi refusent-ils  l’innovation qui pourrait changer la donne à leur détriment, ils favorisent les chercheurs aussi médiocres qu’eux qui ne risquent pas de leur porter ombrage, et ceux qu’ils veulent promouvoir (par népotisme, copinage, clientélisme, discrimination sexiste ou autre) et qui leur « font allégeance ». Comme les commissions successives de cette section pratiquent ce type d’évaluation depuis longtemps, elles y ont installé à demeure un noyau dominant de chercheurs médiocres, voire incompétents, qui s’auto-perpétue dans l’immobilisme et la sclérose. Le système « féodal du mandarinat » et des privilèges gangrène la recherche française et jette le discrédit sur les laboratoires sérieux et performants. Quelles sont les réactions des chercheurs face à cette situation de blocage ? Certains renoncent à faire de la recherche, d’autres vont exercer leur métier à l’étranger, végètent en attendant la retraite, ou se livrent à une activité parallèle. D’autres enfin, comme moi, refusent de baisser les bras. J’ai décidé de réaliser mon programme de recherche avec le soutien des collègues de bonne volonté qui partagent ma conception de la recherche. J’ai créé avec eux une association, l’ASPEP (Association pour la recherche sur la Syrie-Palestine à l'Epoque Perse) qui fonctionne comme une équipe de recherche CNRS, un lieu de rencontres locales et internationales, l’Institut Catholique de Paris, et une revue pour pouvoir nous exprimer, Transeuphratène. Notre groupe de recherche a reçu le soutien scientifique et financier de plusieurs universités françaises et européennes, et il s’est peu à peu agrandi sur la base de considérations scientifiques et de relations humaines.
3. L’opacité des modes de gestion et de fonctionnement des commissions d’évaluation du CNRS est totale. Le chercheur ne sait jamais ce que les évaluateurs pensent de la qualité de sa recherche, ni pourquoi il a été bloqué : tel a été mon cas avec mes 17 demandes de promotion et mes 10 demandes de financement de projets, toutes refusées sans explication.
L’inadaptation des structures et des modes de fonctionnement actuels du CNRS constitue un autre problème grave.
5. Le système du recrutement à vie, qui autorise une grande liberté de recherche, ne produit pas tous les résultats attendus, à cause de la mauvaise utilisation qui en est faite.
6. Le manque d’attractivité de la recherche pour les jeunes et les chercheurs étrangers est également en cause : insuffisance de postes, critères de recrutement biaisés, insuffisance des actions incitatives, carrières peu séduisantes avec goulot d’étranglement au passage CR/DR, « plafond de verre » pour les femmes, stagnation des carrières des provinciaux, etc.
7. L’enseignement secondaire et supérieur ne prépare pas suffisamment à la recherche, et les relations entre les universités et le CNRS ont besoin d’être redéfinies.
8. Le secteur des Sciences de l’Homme et de la Société, le plus sinistré du CNRS, pose un problème particulier car il cumule tous les handicaps, avec sa multiplicité de disciplines.
Il faut attendre de voir ce qui va sortir de la large consultation organisée au niveau régional, et des conclusions qui seront retenues par le CIP et transmises au gouvernement. Pour le moment, parmi la masse foisonnante des résultats provisoires des consultations, accessible sur Internet, certaines analyses et propositions semblent pertinentes et innovantes, mais la plupart n’ont pas été retenues dans les premières synthèses du CIP ; on y trouve en revanche d’inquiétantes propositions comme l’addition à la commission d’évaluation actuelle d’un tiers de cooptés, ce qui équivaudrait à perpétuer la pratique de l’auto-évaluation.
Dernier livre : J. Elayi, Pièges pour historien et recherche en péril, diffusion Maisonneuve et Larose, 2004

 

4. Article du Figaro, 27 décembre 2004, Débats et opinions, « L’évaluation des chercheurs en question », par Josette Elayi.
L’évaluation constitue le problème le plus fondamental de la recherche, car elle en conditionne tous les aspects (financements, qualité et pertinence des résultats, visibilité des projets, stratégies et politique de la recherche). Presque tout le monde le reconnaît, mais personne ne s’accorde sur une procédure valable. La question est très difficile et, disons-le, touche aux privilèges de quelques-uns. On a beaucoup dit de la procédure qu’elle devait être « démocratique et effectuée par les pairs » : certes, mais comment garantir une évaluation indépendante, neutre et scientifiquement correcte ? Le rapport du CIP (Comité d’Initiative et de Proposition) du 25 octobre ne propose rien de concret pour résoudre ce problème. Il faut d’abord s’entendre sur une définition commune des critères d’évaluation d’un chercheur : si l’on veut sauver la recherche, les critères scientifiques devraient être déterminants, alors que d’autres critères avancés comme les qualités pédagogiques, la mobilité, la faculté d’intégration, la participation aux travaux d’intérêt général du laboratoire etc., ne relèvent pas du registre de la recherche. L’évaluation des autres activités du chercheur et de l’enseignant-chercheur n’est pas concernée par ma proposition car elle doit reposer sur d’autres critères.
La compétence des évaluateurs devrait être assurée en permanence par leur propre évaluation, et leur indépendance garantie. La transparence de leur démarche devrait pouvoir être vérifiée par l’accès des chercheurs  à toutes les pièces des dossiers d’évaluation comme cela se fait en Suède par exemple. Pour sortir du recrutement endogène et de la cooptation, une large ouverture devrait être faite aux experts extérieurs aux commissions d’évaluation, français et étrangers, ce qui se fait dans plusieurs pays et qui est tout à fait envisageable dans le contexte européen. Cette ouverture aurait aussi l’avantage de fournir des experts pour toutes les disciplines représentées. En cas de litige avec la commission d’évaluation, le chercheur devrait disposer d’un recours juridique qui statue sur le fond et pas seulement sur les vices de forme comme cela se passe actuellement avec le Conseil d’Etat.
Avant de chercher à définir les instances d’évaluation, leur composition et la durée de leur mandat comme le fait le CIP, il faut clarifier la procédure d’évaluation elle-même. Pour faciliter et assainir cette procédure, je propose d’établir une grille de lecture commune pour tous les chercheurs, une sorte de dossier à points. Il ne s’agit pas de faire de la bibliométrie comme dans les pays anglo-saxons, mais de prendre en compte tous les éléments susceptibles d’être quantifiés pour caractériser les activités des chercheurs et mettre au point une procédure adaptée à la France. Ainsi, il faudrait fixer le nombre de points à attribuer par exemple pour la publication d’un ouvrage spécialisé reconnu par la communauté scientifique internationale, pour un article dans une revue internationale avec comité de lecture, pour l’organisation d’un colloque international spécialisé, pour la commercialisation d’un brevet, pour la direction d’une thèse, pour la direction annuelle d’une équipe de chercheurs, etc.
Cette grille de lecture a besoin d’être soigneusement analysée et définie avec précision au travers d’une concertation avec tous les partenaires concernés. Le grand avantage du dossier à points réside dans le fait que l’évaluation scientifique a déjà eu lieu en amont de manière en principe objective, en tout cas beaucoup plus objective que dans le système endogène actuel. Le dossier à points mettrait fin aux appréciations subjectives, partiales et incompétentes, aux injustices, aux privilèges, aux discriminations, notamment sexistes (sans plus de nécessité de recours aux quotas), et garantirait une recherche de qualité.
La procédure du dossier à points, bien conçue et bien définie, pourrait être étendue, en l’adaptant, à tous les niveaux de l’évaluation de la recherche, y compris au conseil scientifique du pilotage stratégique, dont la compétence scientifique doit être particulièrement garantie si l’on veut qu’elle constitue une base solide pour guider le gouvernement dans sa politique de recherche.
Cette procédure permettrait aussi de régler les dysfonctionnements du statut de chercheur car cette question est indissolublement liée à celle de l’évaluation. Le soutien fort de la recherche publique par l’Etat constitue une tradition et une richesse de la France. Les aspects positifs du recrutement à vie des chercheurs sont incontestables : sécurité, stabilité, continuité, disponibilité, garantie contre les éventuelles pressions politiques ou économiques, liberté des choix stratégiques, possibilité de projets à long terme, etc. Mais comment remédier aux effets pervers qui dévalorisent trop souvent le statut du recrutement à vie : inefficacité, démotivation, paresse et médiocrité ? Que faire des chercheurs à plein temps et à vie qui sont insuffisamment productifs pour des motifs divers, et qui nuisent à la qualité de la recherche française ? Le CIP ne se pose même pas la question.
Au bout d’un laps de temps à définir avec tous les partenaires concernés (4 ans ?), sachant que tout chercheur peut avoir un « passage à vide », le dossier permettrait de comptabiliser les points obtenus par le chercheur pendant cette période, afin de s’assurer s’il doit toujours être maintenu à plein temps dans la recherche ou s’il est préférable de le réorienter. Un chercheur démotivé et improductif pourrait, tout en gardant son statut de fonctionnaire qui est un acquis social, être réorienté vers d’autres activités mieux adaptées et plus motivantes, qu’il choisirait lui-même : par exemple le transfert et l’application des connaissances dans les entreprises, la valorisation de la recherche, l’enseignement, la diffusion de l’information et de la culture scientifique, l’administration ou même un autre secteur de la fonction publique.
On pourrait ajouter à ces mesures des primes de recherche substantielles (et non symboliques comme par le passé), des crédits incitatifs pour des projets particuliers, et une revalorisation des carrières, qui deviendraient alors plus attractives pour les jeunes et les chercheurs étrangers. Le résultat de toutes ces mesures serait une recherche efficace et de qualité, faite par des chercheurs à plein temps, sécurisés et motivés. Ce serait donc une recherche compétitive sur le plan international.
*Chercheur au CNRS.

 

5. Article du Figaro, 14 février 2005, Débats et opinions, « Les chercheurs français de nouveau tentés par la rue. Plaidoyer pour un vrai partenariat avec le gouvernement », par Josette Elayi*.
Un an après le mouvement contestataire « Sauvons la recherche » qui a remporté un vif succès auprès de l’opinion publique, les chercheurs de ce mouvement et les organisations syndicales de chercheurs ont repris le même scénario avec une nouvelle pétition « Nous sauverons la recherche ». Ils rejettent l’avant-projet de loi de programmation et d’orientation de la recherche préparé par le gouvernement. Ils demandent « solennellement qu’un nouveau projet de loi soit élaboré, qui reprenne les recommandations et la programmation budgétaire faites par la communauté scientifique dans le texte des états généraux de la recherche ». Mais, contrairement à ce qu’ont déclaré ses auteurs, ce texte, bien qu’important, n’était nullement représentatif de toute la communauté scientifique, et les ministres François Fillon et François d’Aubert ont clairement précisé qu’ils tiendraient compte de tous les rapports qui leur étaient adressés, par tous les organismes et les personnalités du monde scientifique.
La nouvelle pétition « Nous sauverons la recherche » reproche à l’avant-projet de loi de ne pas suivre à la lettre toutes les propositions du texte des états généraux, et de privilégier l’innovation et la recherche appliquée en entreprise, au détriment de la recherche fondamentale et des laboratoires publics. Ne nous y laissons pas prendre une nouvelle fois : les principales raisons qui ont provoqué ce deuxième mouvement des chercheurs sont tout autres et n’ont pas été explicitées.
Tout d’abord, ils n’acceptent pas la réforme de l’évaluation qui leur est proposée. Petit rappel : jusqu’à présent, au CNRS par exemple, le Comité National évaluait à peu près tout : les candidatures au recrutement, les promotions des chercheurs, les laboratoires, les projets, leur financement et leur suivi, et la stratégie de la recherche. Les membres de ce Comité étaient élus par les chercheurs pour deux tiers, et nommés par la Direction pour un tiers ; inutile de préciser que les listes électorales et le nominations ne reposaient pas souvent sur des critères scientifiques. Résultat : les chercheurs, c’est-à-dire les réseaux divers à l’œuvre dans ce Comité, détenaient le pouvoir. Les propositions contenues dans le texte des états généraux visaient à renforcer encore davantage ce pouvoir corporatiste.
Or, certaines des mesures figurant dans l’avant-projet du gouvernement « donnent des boutons », comme certains l’ont écrit, aux chercheurs contestataires. Premièrement, il propose que les élus ne soient plus majoritaires, mais minoritaires, et que tous les évaluateurs justifient de qualités scientifiques indiscutables. Il demande l’ouverture aux experts étrangers, la transparence des critères choisis et la publication des résultats de l’évaluation. Il propose aussi l’ajustement indispensable avec les systèmes internationaux d’évaluation, la mise en concurrence des équipes, la sélection des projets en fonction de leur pertinence, l’encouragement de l’excellence de la recherche, et la reconnaissance du mérite des chercheurs compétents par des primes diverses et des promotions. On aura bien compris que ces mesures proposées par le gouvernement, qui se justifient tout à fait d’un point de vue scientifique, visent aussi à réduire à juste titre le pouvoir corporatiste dans les organismes de recherche. Il reste à souhaiter que l’on ne tombe pas dans le travers inverse : un contrôle étatique excessif. On pourrait peut-être aborder cette réforme vitale pour l’avenir de la France avec un vrai partenariat entre les chercheurs et le gouvernement, en effectuant de part et d’autre les concessions et les efforts nécessaires pour atteindre l’objectif commun : débloquer la situation et sortir la recherche française de la grave crise où elle se trouve pour la faire de nouveau exister sur le plan international.

 

6. Article de Métro, 18 octobre 2005, « La nouvelle loi réussira-t-elle à sortir la recherche française de la crise? », Tribune de Josette Elayi.
Aujourd’hui, tous les indicateurs montrent que la recherche française n’a plus le choix : se réformer en profondeur ou continuer à stagner et disparaître de la scène internationale. Comme vient de le dire le Ministre Gilles de Robien, « l’heure est à retrousser nos manches pour mettre en place des solutions ! ». Le texte de la nouvelle loi, appelée « Pacte pour la recherche », attendu depuis 2004, a été enfin rendu public, après de multiples concertations, le 5 octobre dernier. Sans entrer dans les détails techniques, les cinq objectifs fixés par la loi permettent déjà d’avoir une idée de son contenu.
1. Pour remédier aux défauts du pilotage de la recherche, il s’agit d’abord de mettre en place des stratégies pour savoir où l’on va. Il faut aussi définir des priorités car on ne peut pas suivre toutes les voies de recherche, aujourd’hui innombrables à cause des spécialisations de plus en plus poussées.
2. L’évaluation est essentielle dans la recherche comme je le montre dans mon dernier livre, car elle conditionne tout : la qualité des chercheurs, des équipes, des résultats à l’échelle internationale et des stratégies d’avenir. Or, le système actuel fonctionne très mal dans beaucoup de secteurs. La nouvelle loi propose un nouveau système d’évaluation unifié, cohérent, objectif et transparent, qui pourra résoudre beaucoup de problèmes à condition d’être convenablement mis en place.
3. Le système tripartite français (organismes de recherche, grandes écoles et universités) qui fonctionne de façon séparée constitue un handicap pour une recherche performante. Tout en conservant cette spécificité française, la loi devrait faciliter la coopération entre les différents acteurs de la recherche.
4. Il faut offrir des carrières attractives pour que les jeunes s’orientent vers la recherche et ne s’expatrient plus à l’étranger pour trouver de meilleures conditions.
5. Il s’agit enfin de développer les liens entre la recherche publique et privée.
Bien sûr, plusieurs questions ont été laissées de côté pour le moment (tout ne peut pas être réglé à la fois) et la mise en place de la loi ne sera certainement pas facile. Mais déjà, les choses bougent et semblent aller dans le bon sens. Souhaitons que cette réforme structurelle soit capable de débloquer la situation et de sortir la recherche française de la crise, car c’est notre avenir qui est en jeu !
Josette Elayi, Chercheur au CNRS et historienne.
La face cachée de la recherche française, de Josette Elayi (Editions Idéaphane, septembre 2005, 224 pages, 20 euros, SERVEDIT, 15 rue Victor Cousin, 75015 Paris)

 

7. Article de La Croix, 18 octobre 2005, « L’avenir de la recherche en sciences humaines », Libre opinion par Josette Elayi.
Plus encore qu’en sciences sociales, la recherche en sciences humaines se trouve face à un avenir incertain. Pourtant, le secteur SHS correspond à une tradition où la France a toujours excellé. Il apporte une ouverture indispensable sur le monde et permet de corriger des idées reçues, et des visions simplistes et malveillantes. Il nous aide à mieux comprendre notre histoire et l’histoire de notre temps, et nous guide dans nos choix. A une époque où le progrès technologique tend à fabriquer un homme sans mémoire, sans culture et sans racines, et face au monde de demain qui n’aura rien de commun avec celui d’aujourd’hui, les SHS nous permettent de rester enracinés dans notre passé et notre culture, et d’être en même temps solidaires du passé de l’humanité et des cultures du monde.
On peut traiter ce secteur comme les autres secteurs de la recherche dans les grandes lignes, mais il faut aussi tenir compte de sa spécificité. Les bénéfices matériels qu’on peut en attendre sont loin d’être inexistants, mais ils sont particuliers : ainsi, avoir des spécialistes de la Chine ou des pays arabes est une nécessité pour notre économie et pour nos relations extérieures, et le tourisme culturel peut profiter des recherches archéologiques et historiques.
Curieusement, les chercheurs en SHS ont été pratiquement absents des débats sur la recherche en 2004 et 2005 : aussi les SHS ont-elles été à peine mentionnées dans le rapport des Etats généraux de Grenoble. Elles semblent en revanche un peu plus présentes dans le « Pacte pour la recherche » présenté à la presse le 5 octobre dernier. Le Ministre Gilles de Robien a déclaré : « Les Sciences Humaines et Sociales nous apportent justement des repères pour regarder au delà des inquiétudes et des risques. Pour décrypter le quotidien, en le mettant en perspective. Pour comprendre les identités culturelles dans ce village mondialisé ».
Concrètement, que propose cet avant-projet de loi ? Les SHS ont déjà leur place dans les « Projets non thématiques » financés par la nouvelle Agence Nationale de la Recherche. Elles seront représentées dans le Haut Conseil de la Science et de la Technologie, placé auprès du Président de la République. Elles figureront parmi les grandes thématiques regroupées dans les Campus de Recherche, par exemple la « culture méditerranéenne ».
Ces propositions demandent, bien sûr, à être précisées et testées, mais certaines orientations générales de la loi semblent aller dans le bon sens. Le secteur des SHS devrait d’abord être assaini par une vraie réforme de l’évaluation qui assure la qualité des recherches et leur ouverture sur les critères scientifiques internationaux. Etant donné que l’Etat ne pourra pas continuer à prendre en charge la totalité de ses multiples disciplines, il va falloir obligatoirement définir des priorités et opérer des regroupements.
La recherche privée qui existe déjà (associations, sociétés savantes, fondations…) pourrait apporter une aide substantielle. Par ailleurs, nos problèmes, insolubles à l’échelle nationale, pourraient trouver des solutions si l’espace européen de la recherche arrivait véritablement à se construire.
Dans une politique de collaboration et de mobilité, certains pôles de recherche pourraient prendre en charge, selon leurs centres d’intérêt et leurs possibilités, une partie des disciplines de notre immense secteur, et les grands équipements nécessaires. S’ils veulent préserver leur avenir, les chercheurs en SHS doivent être réalistes : ils n’ont plus d’autre choix que d’unir leurs forces, cibler leurs objectifs et regrouper leurs recherches et leurs ressources.
Josette Elayi, chercheur au CNRS, historienne. Auteur de La face cachée de la recherche française, 2005, 20 euros, Editions Idéaphane.

 

8. Article de Métro, 29 novembre 2005, « Chercheuse, je n’ai pas manifesté », Tribune de Josette Elayi.
« Sauvons la recherche » (SLR) vient de manifester contre le nouveau projet de loi du Gouvernement sur la recherche, à l’appel de l’Intersyndicale des chercheurs. Contrairement à ce qui a été dit, ce mouvement contestataire n’est pas représentatif de toute la communauté scientifique et d’ailleurs, il n’a mobilisé hier que quelques centaines de personnes à Paris et en province. En effet, je ne suis pas la seule à penser que ce projet de loi est un intermédiaire raisonnable entre la réforme-toilettage soutenue par SLR, et la réforme-table rase dont rêvent certains.
L’argent et les postes réclamés depuis 2004 sont maintenant annoncés : 1 milliard de plus par an, soit 6 milliards en 3 ans, et 3000 postes supplémentaires en 2006 et 2007. Ce n’est déjà pas si mal, même si on peut toujours souhaiter davantage ! Cependant, ces crédits n’iront pas seulement à la recherche publique, selon le principe inefficace du « saupoudrage ». Ils iront aussi à la recherche privée, aux structures de recherche dynamiques et aux meilleurs projets, en fonction de stratégies clairement définies.
Les jeunes ne paraissent pas oubliés dans le projet de loi (alors qu’ils étaient pratiquement absents des Etats Généraux de Grenoble), même si les mesures prévues sont encore insuffisantes. En tout cas, on ne continuera pas, semble-t-il, à recruter des jeunes comme chercheurs à vie sans qu’ils aient fait leurs preuves pendant une période d’essai, et à écarter parfois de jeunes talents.
La création d’une Agence d’Evaluation de la Recherche fait espérer, à condition d’être convenablement mise en place, que l’évaluation des chercheurs, des équipes et des projets sera enfin objective, unifiée, transparente et alignée sur le système international, car elle est la condition indispensable d’une recherche de qualité.
L’Agence Nationale de la Recherche, agence de moyens finançant des projets, comme il en existe dans la plupart des pays, n’est pas la principale menace qui pèse sur l’avenir du CNRS comme on le prétend. Le CNRS est d’abord directement menacé par les réseaux de chercheurs qui détiennent le pouvoir dans ses commissions d’évaluation et qui, malheureusement, ne l’utilisent pas toujours dans l’intérêt de la recherche.
Si l’on veut que la recherche française trouve sa vraie place dans la compétition internationale, qui est la réalité d’aujourd’hui qu’on le veuille ou non, nous avons besoin d’un mouvement, non pas contestataire, mais de critique constructive pour aider cette réforme vitale à se mettre en place, pour l’améliorer et la préserver des dérives toujours possibles. Ce serait certainement une meilleure façon de « sauver la recherche » !
Josette Elayi, Chercheuse au CNRS et historienne
* Auteur de La face cachée de la recherche française (Editions Idéaphane, septembre 2005).

 

9. Article de Métro, 9 février 2006, « Dernières turbulences au CNRS », Tribune de Josette Elayi.
Le CNRS est le premier organisme de recherche français avec ses 26000 salariés dont 11400 chercheurs : c’est dire si son poids pèse lourd dans l’avenir de notre recherche. Il est entré dans une période de turbulences avec la démission de son Président Bernard Meunier, le 6 janvier dernier, suivie par l'éviction de son Directeur général Bernard Larrouturou, le 9 janvier. Selon l’explication du Ministre délégué à la Recherche François Goulard, depuis plusieurs mois, les deux hommes « n’arrivaient pas à s’entendre sur des choix importants ». Pour Bernard Larrouturou toutefois, la principale raison serait un complot des « forces conservatrices », dont il a refusé de donner les noms.
L’affaire semble plutôt compliquée, mais quelques éléments simples se dégagent cependant. Un projet de réforme du CNRS avait été élaboré par l’ancien Président Gérard Mégie. Après son décès en 2004, il a été continué par Bernard Larrouturou, qui a commencé à le mettre en place à titre expérimental et l’a fait voter par le Conseil d’administration, malgré le désaccord du nouveau Président Bernard Meunier. Sans entrer dans le détail, ce projet de réforme comportait plusieurs points positifs : nécessité vitale pour le CNRS de se réformer, réduction du nombre de départements scientifiques de huit à six, création de cinq directions interrégionales, ouverture à l’Europe… Mais il comportait aussi des points négatifs : gestion beaucoup trop lourde, reconnaissance insuffisante de la recherche de qualité, non-résolution des dysfonctionnements de l’évaluation, et surtout divergences avec le projet de loi du gouvernement sur la recherche. Ce projet de loi propose plusieurs orientations pour lutter contre les conservatismes et rendre la recherche française plus performante dans la compétition internationale. Il prévoit notamment la création d’une Agence d’Evaluation de la Recherche pour permettre d’identifier objectivement la recherche de qualité et les laboratoires qui méritent d’être soutenus.
Pour éviter désormais tout conflit au sommet du CNRS, le Ministre François Goulard va modifier les statuts afin que le Directeur général soit nommé sur proposition du Président. La physicienne Catherine Bréchignac a été nommée Présidente le 11 janvier dernier et Arnold Migus Directeur général le 18 janvier. « Si nous avons nommé Catherine Bréchignac et Arnold Migus, a précisé le Ministre, c'est parce qu'il s’agit de gens complètement impliqués dans la recherche française, qui connaissent le CNRS de l’intérieur et donc sont immédiatement opérationnels ». Il y va en effet de l’intérêt de tous et de l’avenir de notre recherche que la nouvelle gouvernance du CNRS parvienne à redresser rapidement cet organisme-phare, en cohérence avec le projet de loi du gouvernement qui sera soumis au Parlement le 28 février.
JOSETTE ELAYI, Chercheur au CNRS,
Auteur de La face cachée de la recherche française, Editions Idéaphane

 

10. Article de Métro, 2 mars 2006, « Enfin une nouvelle loi pour la recherche ! », Tribune de Josette Elayi.
La recherche française va mal : nul ne l’ignore depuis que la crise a éclaté au grand jour début 2004 et son recul sur la scène internationale a été clairement mis en évidence par la convergence des indicateurs. Le 28 février, le nouveau projet de loi du gouvernement, appelé « Pacte pour la recherche », a été présenté au Parlement. Ce jour-là, l’intersyndicale des chercheurs et Sauvons la recherche ont appelé à manifester contre ce projet qu’ils ont accusé notamment de vouloir « bouleverser la recherche ». Leur prétention à représenter toute la communauté scientifique a été démentie par le faible nombre de manifestants (entre 700 et 2000 à Paris). Enfin, la nouvelle loi va permettre de prendre des mesures, notamment pour les jeunes, comme la revalorisation des allocations de recherche, le renforcement du dispositif post-doctorant et des carrières plus attractives, ce qui constitue déjà un bon point de départ. Elle fixe pour 2006 et 2007 des moyens financiers supplémentaires sans précédent même si on peut toujours souhaiter davantage, et vise à atteindre l’objectif de 3% du PIB d’ici 2010. Elle crée de nouvelles structures telles que le Haut Conseil de la Science, l’Agence Nationale de la Recherche et l’Agence d’Evaluation de la Recherche. L’évaluation de la recherche est une des grandes priorités fixées par la nouvelle loi parce que, si l’évaluation n’est pas faite ou si elle est mal faite, c’est le secteur de la recherche tout entier qui est menacé. En effet, elle conditionne la qualité des chercheurs recrutés (il ne faut pas se tromper car ils sont recrutés à vie !), le soutien financier et institutionnel apporté aux chercheurs compétents pour réaliser leurs projets, et le choix des chercheurs les plus brillants capables de diriger les laboratoires de recherche. Les dysfonctionnements de l’évaluation de la recherche ont été mis en lumière depuis 2004 et largement dénoncés par des rapports officiels, différentes études et publications de personnalités du monde scientifique. On refuse en France le système d’évaluation international, fondé sur des critères essentiellement quantitatifs qui, malgré ses défauts, en a beaucoup moins que le nôtre.
La nouvelle agence a été créée pour assainir l’évaluation, en organisant une évaluation systématique, de qualité, transparente et suivie de conséquences ; elle dispose d’un pouvoir d’investigation sur pièces et sur place. Son administration est confiée à un Conseil de 24 membres : 10 personnalités qualifiées, 7 membres sur proposition des directeurs d’établissements, et 7 membres sur proposition des instances d’évaluation compétentes. Les trois niveaux d’évaluation (établissements, unités de recherche, et personnels) sont répartis en 3 Sections, dirigées par des personnalités nommées par le Conseil. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés que va rencontrer cette Agence : c’est un outil remarquable, à condition de bien l’utiliser. Ceci est valable pour tous les outils créés par la nouvelle loi : l’année 2006 va sans doute être décisive pour les mettre en place et enrayer le déclin de la recherche française, dans l’intérêt de tous.
Josette ELAYI, Chercheuse au CNRS,
Auteur de La face cachée de la recherche française (éditions Idéaphane).

 

11. Article de Diplômées, n° 216, mars 2006, « L’évaluation, une priorité de la nouvelle loi pour la recherche », par Josette Elayi, historienne, chercheur au CNRS et éditeur.
La nouvelle loi de programme pour la recherche, appelée « Pacte pour la recherche » par le gouvernement, vient de passer devant l’Assemblée Nationale et d’être votée le 7 mars (1). Elle définit les grandes lignes de la nouvelle organisation de la recherche en France, qui seront précisées dans les décrets d’application pendant les mois qui viennent. En réalité, cette loi était annoncée depuis début 2004 et devait être votée, selon le calendrier initial, avant l’été 2005. Mais son élaboration a été retardée, notamment par les difficultés rencontrées au cours des consultations avec les acteurs de la recherche, et par les priorités accordées à d’autres sujets, en raison d’événements extérieurs comme le tsunami de décembre 2004.
Rappelons que la crise de la recherche couvait depuis plusieurs années, mais qu’elle a éclaté au grand jour le 7 janvier 2004, avec le mouvement revendicatif des chercheurs « Sauvons la recherche » (2). L’épreuve de force qui s’est engagée alors entre ce mouvement et le gouvernement a abouti le 31 mars 2004 au remplacement des Ministres Luc Ferry et Claudie Haigneré par François Fillon et François d’Aubert. Après les Etats généraux de la recherche qui se sont tenus à Grenoble du 28 au 29 octobre 2004, de très nombreuses consultations ont été conduites par le gouvernement pour élaborer le projet de loi, rendu public le 5 octobre 2005 par les Ministres actuels Gilles de Robien et François Goulard. Il a d’abord été présenté au Conseil des ministres, puis au Conseil économique, avant de passer à l’Assemblée nationale, modifié au passage par plusieurs amendements. La nouvelle loi vient à point pour sortir la recherche française de la crise où elle est plongée, car selon le dernier rapport de l’Académie des sciences, cette crise « représente une opportunité majeure et probablement unique, à ne pas laisser passer, pour mettre en œuvre les réformes de fond rendues nécessaires dans un monde en mutation constante » (3).
L’évaluation de la recherche est une des grandes priorités définies par cette nouvelle loi parce qu’elle constitue la base de tout système de recherche. Si elle n’est pas effectuée correctement ou si elle n’est pas faite, c’est le secteur de la recherche tout entier qui est remis en question et menacé. En effet, l’évaluation conditionne la qualité des chercheurs recrutés (il ne faut pas se tromper car ils sont recrutés à vie !), le soutien financier et institutionnel apporté aux chercheurs compétents pour réaliser leurs projets, et le choix des chercheurs les plus brillants capables de diriger les laboratoires de recherche et de mettre en place les stratégies qui engagent l’avenir. Il faut savoir cependant que la question de l’évaluation est très difficile, complexe et délicate, notamment parce qu’elle entre en conflit avec des intérêts divers.
Les dysfonctionnements de l’évaluation de la recherche ont été mis en lumière depuis 2004 et largement dénoncés par des rapports officiels, différentes études et publications de personnalités du monde scientifique (4). Ils sont apparus comme l’une des causes principales du recul de la recherche française sur la scène internationale, que tout le monde s’accorde à reconnaître aujourd’hui (5). Comment se manifestent par exemple ces dysfonctionnements dans une commission d’évaluation du CNRS, composée de 21 membres ? Tout d’abord, une partie d’entre eux sont des universitaires qui n’ont pas fait leurs preuves comme chercheurs, n’ayant pas eux-mêmes été évalués. Les autres évaluateurs de cette commission sont des chercheurs, élus ou nommés sans considération de leur dossier scientifique, mais simplement parce qu’ils figurent par exemple sur des listes syndicales. Ces évaluateurs souvent médiocres recrutent et promeuvent des chercheurs aussi médiocres qu’eux et ne risquant pas de leur faire concurrence. De plus, divers réseaux d’influence sévissent dans beaucoup de ces commissions, le recrutement et la promotion de chercheurs se fait souvent par copinage, népotisme ou clientélisme, et certains d’entre eux, même les plus brillants, sont écartés par discrimination sexiste (6) ou autre. Par ailleurs, l’évaluation, positive ou négative, est rarement suivie d’effets, elle s’effectue dans l’opacité la plus totale, elle ne se fait pas de façon homogène et elle est extrêmement coûteuse. Enfin, elle ne tient pas assez compte du système d’évaluation anglo-saxon utilisé partout dans le monde, qui s’appuie sur des critères quantitatifs (7). Nous ne pouvons pas ignorer ce qui se passe en dehors de la France même s’il est nécessaire d’adapter ce système international à nos particularismes (j’ai fait en 2004 une proposition dans ce sens en imaginant un dossier à points pour chaque chercheur) (8).
Pour résoudre le problème fondamental des dysfonctionnements de l’évaluation, la nouvelle loi crée une Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Son organisation repose sur les quatre principes suivants : - une évaluation systématique, autrement dit applicable à tout projet, programme ou politique de recherche financés sur fonds publics, - une évaluation de qualité reposant sur le choix d’experts reconnus internationalement, sur une méthodologie commune et conforme au système international, - une évaluation transparente, dont tous les éléments doivent être rendus publics, - et une évaluation suivie de conséquences. L’administration de la nouvelle Agence sera confiée à un Conseil de vingt-quatre membres,  français et étrangers, nommés par décret : - le président de l’OPECST - neuf personnalités qualifiées, - sept membres sur proposition des directeurs d’établissements, - et sept membres sur proposition des instances d’évaluation compétentes. Le Président nommé sera choisi parmi ces membres. Les trois niveaux d’évaluation, à savoir les établissements et les grands programmes, les unités de recherche, et les personnels, seront répartis en trois Sections, dirigées par des personnalités nommées par le Conseil, sur proposition de son Président. L’Agence disposera d’un pouvoir d’investigation sur pièces et sur place.
Il ne faudrait surtout pas sous-estimer les difficultés que cette nouvelle Agence va devoir affronter. Entre autres, la composition de son personnel et la coordination entre les trois Sections sont capitales pour assurer un fonctionnement intelligent, objectif et efficace. Cette nouvelle Agence ne peut pas s’accommoder de la conservation des structures actuelles déficientes, comme le faisait justement remarquer Pierre Chambon, professeur au Collège de France : « Si l’on garde le comité d’évaluation du CNRS et de l’INSERM dans leur état actuel, rien ne changera » (9). Il faudra aussi définir clairement les missions d’évaluation, en essayant de respecter autant que possible le système international. Les anomalies de recrutement des jeunes chercheurs, le blocage des chercheurs de qualité et l’encouragement de la médiocrité sont les premiers points faibles auxquels l’Agence devra s’attaquer.
Comme l’a bien compris le gouvernement, l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur est un outil essentiel et remarquable, à condition de savoir en faire bon usage et de l’utiliser vite car la crise de la recherche n’a que trop duré. L’année 2006 va sans doute être décisive pour enrayer le déclin de la recherche française et lui faire retrouver sa vraie place sur la scène internationale. La phase d’application de cette réforme vitale pour l’avenir ne pourra se faire, comme ce fut le cas pour sa phase de préparation, que grâce à un vrai partenariat entre le gouvernement et la communauté scientifique toute entière, en effectuant de part et d’autre les efforts nécessaires pour atteindre l’objectif commun.
Notes :
1. www.pactepourlarecherche.fr , www.senat.fr, et www.assemblee-nationale.fr
2. Sur les problèmes actuels de la recherche, voir J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Paris, Idéaphane, 2005.
3. www.academie-sciences.fr
4. Par exemple C. Charle et P. Bourdieu, Quelques diagnostics et remèdes pour une université en péril, Paris, Liber, 1997 ; O. Postel-Vinay, Le grand gâchis. Splendeur et misère de la recherche française, Paris, Eyrolles, 2002 ; rapport du Comité National d’Evaluation de la Recherche du CNRS, avril 2003.
5. Les indicateurs sont malheureusement convergents : rapports de l’Observatoire des Sciences et Technologies, et de l’Inspection Générale des Finances, classement des universités par l’université de Shangaï (2003 et 2004).
6. G. Hatet-Najar et M. Albertini, Les femmes dans l’histoire du CNRS, Paris, CNRS, 2004.
7.G. Fillatreau, « Les indicateurs bibliométriques en recherche », Education et formation 59, 2001.
8. J. Elayi, « L’évaluation des chercheurs en question », Le Figaro, 27 décembre 2004.
9. P. Chambon, « Pour une réforme radicale », La Recherche, mai 1999.

 

12. Article de Diplômées, n° 218, septembre 2006, « Où en est le projet d’évaluation de la recherche ? », par Josette Elayi, historienne, chercheur au CNRS et éditeur.
L’évaluation était un des points les plus importants et le plus délicat dans la loi de programme pour la recherche, votée le 8 avril dernier par le Parlement. La loi prévoyait la création de l’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supé-rieur) (1). Le décret relatif à l’organisation et au fonctionnement de cette Agence est maintenant finalisé et devrait être voté avant fin septembre.
Ce décret précise un certain nombre de points par rapport à la loi : il définit le mandat des 24 membres du Conseil de l’Agence (4 ans, renouvelable une fois) et leur mission (élaboration de la charte et du programme de l’évaluation, désignation des directeurs de section, validation des rapports, gestion du budget, etc.). Le Président a autorité sur tous les personnels de l’Agence, il est ordonnateur des dépenses et il peut déléguer sa signature. L’Agence comprend 4 sections (au lieu de 3 prévues initialement) : les sections des établissements, des équipes, des personnels et des formations (créée pour prendre en compte l’évaluation de l’enseignement supérieur, ajoutée après coup). Les membres des comités d’évaluation sont choisis par le Président dans la liste proposée par les différences instances de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le décret fixe quelques règles de déontologie : ne pas occuper des fonctions de direction dans une autre instance d’évaluation, ne pas participer aux délibérations concernant son équipe, signaler les conflits d’intérêts, et respecter le secret professionnel. Enfin, les personnels de l’Agence peuvent être des contractuels recrutés, et des fonctionnaires recrutés ou détachés.
Ce décret a provoqué immédiatement une levée de boucliers auprès des syndicats de chercheurs qui ont dénoncé un « nouveau coup de force contre la communauté scientifique » et appelé à l’action dès la rentrée pour s’y opposer. Selon eux, ce décret procèderait « d’une représentation dirigiste, utilitaire, concurrentielle et élitiste ». Les syndicats reprochent à la nouvelle Agence sa complexité, son manque de transparence, le fait que toutes les disciplines ne sont pas représentées, qu’elle prend en charge l’évaluation des unités de recherche et qu’elle ne s’appuie pas « sur la base des structures existantes et des méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur légitimité ». Mais il faut rappeler que le mode d’évaluation existant est encore plus complexe et opaque, et que la recherche souffre du dirigisme des réseaux d’influence et du « copinage » (2).
La création de la nouvelle Agence est destinée à éviter que les chercheurs ne s’installent dans des « rentes de situation » selon le sénateur Jacques Valade, Président de la commission spéciale du Sénat chargé d’examiner le projet de loi. Comme l’a souligné François Goulard, « la France, qui constituait une exception parmi les pays occidentaux, va s’aligner sur ce qui se fait à l’étranger ». Cependant, si le gouvernement continue à travailler comme il l’affirme, il doit agir vite car le palmarès mondial des universités qui vient d’être publié par l’Université de Shangaï est encore plus mauvais que l’an dernier : la première université française (Paris VI) est à la 45e place, l’Ecole Normale Supérieure à la 99e place et la prestigieuse Ecole Polytechnique à la 247e place. Si la nouvelle Agence veut atteindre ses objectifs de départ – améliorer le système d’évaluation pour redresser la recherche française – elle devra être très vigilante, par exemple en choisissant des personnalités vraiment indépendantes, en s’intéressant aussi à l’évaluation des chercheurs et en se préservant du phénomène de réseau déjà à l’œuvre dans la toute nouvelle Agence Nationale pour la Recherche.
1. Voir mon article « L’évaluation, une priorité de la nouvelle loi pour la recherche », Diplômées 216, mars 2006, pp. 37-39.
2. Sur les dysfonctionnements de l’évaluation de la recherche, voir J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Paris, Idéaphane, 2005.

 

13. Article de Métro, 3 octobre 2006, « L’avenir de la France passe par la recherche », Tribune de Josette Elayi.
En 2000 aux Etats-Unis, la recherche était un des principaux thèmes débattus par les candidats à la présidentielle Georges Bush et Al Gore. Le débat sur la recherche aura-t-il réellement sa place dans la campagne présidentielle française ? Il est trop tôt pour le dire mais en tout cas, jusqu’à présent, seuls quelques candidats potentiels ont abordé le sujet, de manière superficielle et sous un seul angle : le financement, par exemple à l’Université d’automne de Sauvons la Recherche.
Certes, le thème de la recherche est beaucoup moins mobilisateur et fédérateur, électoralement parlant, que le chômage, l’insécurité ou l’éducation par exemple. Pourtant, l’avenir de la France et sa place sur la scène internationale passent par la qualité et la compétitivité de sa recherche. Il faut rappeler que nous ne sommes pas encore sortis de la crise de la recherche qui a éclaté au grand jour en 2004 : le dernier classement mondial des universités par l’Université de Shangaï paru en août est encore plus mauvais pour nous que l’an dernier. La première université française (Paris VI) est seulement au 45e rang, la première grande école (Ecole normale supérieure) est au 99e rang et la plus prestigieuse école française (Polytechnique) au 247e rang.
Conscient de l’urgence de la crise, le gouvernement (Raffarin, puis de Villepin) a élaboré une nouvelle loi pour réformer la recherche, qui a été votée en mai dernier. On commence à peine à amorcer sa mise en application que déjà des difficultés surgissent, notamment l’opposition de plusieurs syndicats de chercheurs.
Les enjeux de l’avenir de la recherche sont tels pour la France que les citoyens attendent des candidats à la présidentielle qu’ils aient un débat de fond sur ce sujet. Il ne s’agit pas de faire des promesses électorales en se livrant à une surenchère sur les crédits et les postes alloués à ce secteur en difficulté : tout le monde sait aujourd’hui que les graves dysfonctionnements de la recherche ne peuvent pas être résolus de cette façon. On demande aux candidats de comprendre la situation, d’évaluer les enjeux et de prendre position sur la réforme actuelle qui est en train de se mettre en place : vont-ils la poursuivre telle quelle s’ils sont élus ? Quelles modifications veulent-ils éventuellement lui apporter et dans quel but ? S’ils sont opposés à cette réforme, que proposent-ils précisément à la place ? Une réforme plus radicale ou un statu quo déguisé ? Si la démocratie fonctionne toujours bien, un vrai  débat sur l’avenir de la recherche doit être au cœur de la campagne présidentielle.
Josette ELAYI, Chercheuse au CNRS, Auteur de La face cachée de la recherche française (éditions Idéaphane).

 

14. Article de La Croix, 18 octobre 2006, « L’avenir de la recherche en sciences humaines »,  par Josette Elayi dans Libre opinion.
Plus encore qu’en sciences sociales, la recherche en sciences humaines se trouve face à un avenir incertain. Pourtant, le secteur SHS correspond à une tradition où la France a toujours excellé. Il apporte une ouverture indispensable sur le monde et permet de corriger des idées reçues, et des visions simplistes et malveillantes. Il nous aide à mieux comprendre notre histoire et l’histoire de notre temps, et nous guide dans nos choix. A une époque où le progrès technologique tend à fabriquer un homme sans mémoire, sans culture et sans racines, et face au monde de demain qui n’aura rien de commun avec celui d’aujourd’hui, les SHS nous permettent de rester enracinés dans notre passé et notre culture, et d’être en même temps solidaires du passé de l’humanité et des cultures du monde.
On peut traiter ce secteur comme les autres secteurs de la recherche dans les grandes lignes, mais il faut aussi tenir compte de sa spécificité. Les bénéfices matériels qu’on peut en attendre sont loin d’être inexistants, mais ils sont particuliers : ainsi, avoir des spécialistes de la Chine ou des pays arabes est une nécessité pour notre économie et pour nos relations extérieures, et le tourisme culturel peut profiter des recherches archéologiques et historiques.
Curieusement, les chercheurs en SHS ont été pratiquement absents des débats sur la recherche en 2004 et 2005 : aussi les SHS ont-elles été à peine mentionnées dans le rapport des Etats généraux de Grenoble. Elles semblent en revanche un peu plus présentes dans le « Pacte pour la recherche » présenté à la presse le 5 octobre dernier. Le Ministre Gilles de Robien a déclaré : « Les Sciences Humaines et Sociales nous apportent justement des repères pour regarder au delà des inquiétudes et des risques. Pour décrypter le quotidien, en le mettant en perspective. Pour comprendre les identités culturelles dans ce village mondialisé ».
Concrètement, que propose cet avant-projet de loi ? Les SHS ont déjà leur place dans les « Projets non thématiques » financés par la nouvelle Agence Nationale de la Recherche. Elles seront représentées dans le Haut Conseil de la Science et de la Technologie, placé auprès du Président de la République. Elles figureront parmi les grandes thématiques regroupées dans les Campus de Recherche, par exemple la « culture méditerranéenne ».
Ces propositions demandent, bien sûr, à être précisées et testées, mais certaines orientations générales de la loi semblent aller dans le bon sens. Le secteur des SHS devrait d’abord être assaini par une vraie réforme de l’évaluation qui assure la qualité des recherches et leur ouverture sur les critères scientifiques internationaux. Etant donné que l’Etat ne pourra pas continuer à prendre en charge la totalité de ses multiples disciplines, il va falloir obligatoirement définir des priorités et opérer des regroupements.
La recherche privée qui existe déjà (associations, sociétés savantes, fondations…) pourrait apporter une aide substantielle. Par ailleurs, nos problèmes, insolubles à l’échelle nationale, pourraient trouver des solutions si l’espace européen de la recherche arrivait véritablement à se construire.
Dans une politique de collaboration et de mobilité, certains pôles de recherche pourraient prendre en charge, selon leurs centres d’intérêt et leurs possibilités, une partie des disciplines de notre immense secteur, et les grands équipements nécessaires. S’ils veulent préserver leur avenir, les chercheurs en SHS doivent être réalistes : ils n’ont plus d’autre choix que d’unir leurs forces, cibler leurs objectifs et regrouper leurs recherches et leurs ressources.
Josette Elayi, chercheur au CNRS, historienne.
Auteur de La face cachée de la recherche française, 2005, 20 euros, Editions Idéaphane.

 

15. Article de Métro, 6 avril 2007, « Rien n’a vraiment changé au CNRS », par Josette Elayi.
La recherche française va mal en dehors de quelques secteurs : tout le monde le sait depuis que la crise a éclaté au grand jour en janvier 2004. Au CNRS, les commissions du Comité National sont très puissantes parce qu’elles sont en charge du recrutement des chercheurs et de leur carrière, de l’évaluation des projets, des personnels et des équipes, et de l’attribution des crédits. Leurs dysfonctionnements, plus ou moins importants selon les sections, sont aujourd’hui bien connus par des rapports officiels (en janvier dernier le sévère rapport de l’IGF), des publications et des déclarations de nombreux responsables et scientifiques. Les principaux dysfonctionnements sont l’incompétence de plusieurs de ses membres, le manque d’objectivité, le corporatisme, le copinage, les réseaux d’influence (syndicaux et autres), l’absence de transparence et la sclérose. Les résultats sont désastreux pour la qualité de la recherche : des chercheurs médiocres sont recrutés à vie sur la base de leur appartenance à tel ou tel réseau, des chercheurs brillants sont écartés, l’argent ne va pas toujours aux meilleurs projets ni aux chercheurs les plus compétents.
Depuis 2004, la situation a cependant beaucoup évolué : une nouvelle loi de programme pour la recherche a été élaborée par le gouvernement (Raffarin, puis De Villepin) en concertation avec l’ensemble des acteurs de la recherche, et votée le 8 avril 2006. Des crédits et des postes supplémentaires ont été accordés à la recherche. L’ANR, Agence Nationale pour la Recherche finançant des projets, créée par la loi, fonctionne depuis 2005. Différents Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur ont commencé à se constituer. L’AERES, Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, chargée d’évaluer les établissements, les unités de recherche et les formations, a été mise en place par le décret du 3 novembre 2006, mais elle ne fonctionne pas encore et, de toutes façons, elle ne résout pas le problème de base qui est l’évaluation des chercheurs.
Si l’on veut préserver le CNRS (mais le veut-on ?), seule la mise en place d’une évaluation de la recherche compétente, indépendante, objective et suivie d’effets, peut permettre d’affronter les problèmes de fond et d’envisager de vraies solutions.  L’avenir de la France passe par une recherche de qualité et compétitive : il est essentiel et urgent d’alerter les candidats à la présidentielle sur la situation alarmante du CNRS, premier organisme de recherche français.
Josette Elayi, Chercheur au CNRS, Auteur de La face cachée de la recherche française, Editions Idéaphane.

 

16. Article de Métro, 1er juin 2007, « La parole à Josette Elayi, chercheuse au CNRS. L’université ne peut pas rester dans son état actuel » (Propos recueillis par Claire Cousin).
-Qu’attendez-vous de la réforme sur l’autonomie des universités ?
Le gouvernement a pour l’instant annoncé qu’il accorderait une véritable autonomie aux établissements pour s’organiser, recruter comme ils l’entendent et décider du contenu des enseignements. Les autorités ne devraient pas instaurer de sélection ni augmenter les droits d’entrée. Mais l’enseignement supérieur ne doit pas être dissocié de la recherche car ils doivent former un tout, comme cela est le cas partout dans le monde.
-Ce projet de loi vous paraît donc positif ?
L’université ne peut de toutes façons pas rester dans son état actuel. Le classement établi par l’université de Shangaï a fait figure d’électrochoc. C’est une catastrophe : la première université française apparaît autour de la 65e place, et l’Ecole polytechnique est elle-même située dans les 300es. Le système de cooptation et de mandarinat qui prévaut au sein des organismes de recherche comme le CNRS et l’INSERM doit absolument être remis en cause.
-Y a-t-il un manque de moyens ?
C’est surtout que l’argent est saupoudré un peu partout, au lieu d’être versé aux laboratoires performants. La qualité des études scientifiques devrait pouvoir être appréciée. Il faudrait promouvoir une culture du mérite et mettre en place un système d’évaluation pour les chercheurs qui tiendrait compte, selon les disciplines, du nombre de publications, du type de supports dans lesquels elles sont publiées et du nombre de citations reprises par d’autres chercheurs. Et l’on ne peut plus se replier sur la langue française, comme c’est le cas aujourd’hui. Si nous ne publions pas en anglais, nous n’avons aucune visibilité.

 

17. Article de Diplômées, n° 221, juin 2007, « Quelle politique pour la recherche en sciences humaines ? », par Josette Elayi, historienne, chercheur au CNRS et éditeur

Si les sciences sociales sont relativement favorisées, les sciences humaines (et les lettres) se trouvent face à un avenir incertain, en particulier des secteurs comme les études sur l’antiquité, et plus encore l’orientalisme que les études sur la Grèce et Rome. Dans les débats qui ont eu lieu pendant la récente campagne présidentielle, le thème de la recherche n’a pas été un thème majeur et l’avenir des sciences humaines en a été totalement absent. Il est vrai que l’intérêt du public pour la science porte surtout sur les aspects essentiels de la vie quotidienne : se soigner, se nourrir, se chauffer (c’est-à-dire par exemple le vaccin contre le sida, les aliments génétiquement modifiés, le risque de manque d’eau potable et le réchauffement de la planète).
Où se fait la recherche en sciences humaines ? Depuis 1981, elles ont été regroupées au CNRS, avec les sciences sociales, en un seul département : Sciences de l’Homme et de la Société (SHS), les six autres étant consacrés aux sciences exactes (1) ; en 2004, le département SHS comprenait 438 structures, le nombre de spécialités différentes dépassant sans doute le millier. La recherche en sciences humaines se fait aussi dans beaucoup d’universités, à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes 4e et 5e sections, l’Ecole Normale Supérieure, les Maisons des Sciences de l’Homme, les sociétés savantes et, à l’étranger, l’Ecole de Rome, l’Ecole d’Athènes, l’Ecole française d’Extrême-Orient, l’Institut français d’Istanbul, de Beyrouth, du Caire, la Casa Velasquez de Madrid, etc.
Les difficultés que rencontre ce secteur de la recherche sont nettement plus nombreuses que celles des autres secteurs et elles sont spécifiques (2). La spécialisation toujours plus poussée tend à accroître encore le nombre de disciplines et de champs de recherche, ainsi que leur fragmentation, avec tendance à l’impérialisme et à l’autisme disciplinaire. Les crédits sont insuffisants mais surtout mal répartis, selon la technique du « saupoudrage » : gaspillés par les laboratoires médiocres au lieu d’être concentrés dans les bons laboratoires. Les doctorants sont beaucoup moins financés que dans les autres secteurs de la recherche et les post-doctorants rencontrent des difficultés pour leur insertion professionnelle. L’enseignement des sciences humaines, qui conditionne la formation des chercheurs, se réduit, dans certains domaines, à une peau de chagrin : des chaires sont supprimées, des enseignements disparaissent, notamment celui des langues dites « rares » ; les enseignants-chercheurs sont surchargés de cours et de tâches administratives qui les empêchent de faire de la recherche. Les regroupements d’équipes qui sont opérés depuis quelques années ne tiennent pas toujours compte de leur pertinence scientifique.
Dans la nouvelle loi de programme pour la recherche votée le 8 avril 2006 (mise en chantier par F. Fillon et F. d’Aubert, et achevée par F. Goulard et G. de Robien) (3), les sciences humaines (et sociales) tiennent leur place. Elles sont représentées dans le Haut Conseil pour la Science (HCS). Elles figurent parmi les grandes thématiques regroupées dans certains Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES), que N. Sarkozy appelle « Campus de recherche », par exemple la « culture méditerranéenne », la Méditerranée représentant pour lui un centre vital. Elles ont leur place dans l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), qui fonctionne depuis 2005, dans les « Projets non thématiques » et dans les « Projets thématiques » (par exemple « Corpus et outils de la recherche en sciences humaines et sociales »). Souhaitons que le nouveau  gouvernement applique pour l’essentiel et développe la loi de recherche de 2006, qui a réussi à être finalisée au terme d’un chantier long et semé de difficultés : dans ce cas, les sciences humaines devraient être prises en compte (4).  La question est de savoir si elles le seront suffisamment.
A quoi servent les sciences humaines ? Tout d’abord, il serait faux de dire que ce secteur n’a aucune utilité concrète et à court terme, car il peut se produire des retombées inattendues de la recherche, par exemple en Afghanistan où la connaissance des systèmes antiques a permis à des archéologues français de corriger les erreurs de projets d’irrigation modernes. Autre exemple parmi tant d’autres : avoir en France des spécialistes de la Chine ou des pays arabes est une nécessité pour notre économie et le développement de nos relations extérieures. Il faut évidemment parler de la longue tradition humaniste de notre pays, et de son patrimoine culturel irremplaçable. Les chercheurs en sciences humaines sont là pour nourrir la réflexion collective sur la société, sur le monde et sur son évolution ; ils élaborent les cadres et les méthodes qui permettent l’apprentissage de la pensée critique, base de toute citoyenneté. Leur travail irrigue tout le système éducatif et fournit, grâce à son contenu, l'essentiel du discours médiatique. La connaissance d’autres milieux, d’autres cultures et d’autres mentalités, nous apporte une ouverture d’esprit indispensable et nous permet de corriger des idées reçues, et des visions simplistes et malveillantes.
Quelles sont les mesures qui contribueraient à aider les sciences humaines ? Avant de demander l’assistance d’une politique de la recherche, les chercheurs eux-mêmes doivent d’abord se mobiliser (5). Il est vital de cesser les querelles de clocher et de réfléchir ensemble, avec une attitude réaliste et pragmatique, pour chercher des solutions qui ne sont ni simples ni évidentes. Il faut en finir avec les discours de justification visant à démontrer que la recherche dans ce domaine est collective et sans garantie de résultats, que l’objectif de résultats est une politique inacceptable et que l’évaluation est impossible. Il est vrai que le secteur des sciences humaines a sa spécificité car on doit tenir compte par exemple, pour l’âge de recrutement des chercheurs, du temps de formation, souvent beaucoup plus long que dans d’autres secteurs. Il est difficile  aussi d’utiliser pour l’évaluation le système bibliométrique international, plus adapté aux sciences exactes et aux pays anglophones. Mais les dysfonctionnements actuels de l’évaluation, basée sur la subjectivité et l’appartenance à un réseau ou à un groupe, doivent de toutes façons être corrigés car ils sont responsables du déclin de la recherche et de la mauvaise évaluation des projets. Pour tenir compte de la spécificité française, j’avais proposé en 2004 un dossier à points, grille de lecture quantifiable, qui permet de corriger les dysfonctionnements et nous rapproche du système international des indicateurs quantifiables (6). Une fois qu’une vraie réforme de l’évaluation aura assaini ce secteur si l’Agence de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES), mise en place par le décret du 3 novembre 2006, remplit bien son rôle (7), il faudrait que des personnes compétentes pilotent la recherche pour mettre en oeuvre de vraies stratégies pour sauver les sciences humaines.
Par exemple, comme l’Etat ne peut pas continuer à prendre en charge la totalité de ces multiples disciplines, il va falloir obligatoirement définir des priorités et opérer des regroupements, mais sur des bases essentiellement scientifiques. Le financement sur projet (ANR) et la recherche privée (associations, sociétés savantes, fondations…) pourraient apporter une contribution substantielle. Les problèmes insolubles à l’échelle nationale pourraient trouver des solutions si l’espace européen de la recherche arrivait à fonctionner. Dans une politique de collaboration et de mobilité, certains PRES, nationaux ou à dimension européenne, pourraient prendre en charge, selon leurs centres d’intérêt et leurs possibilités, une partie des disciplines de l’immense secteur des sciences humaines, et les grands équipements nécessaires, notamment les bibliothèques.
Notes
1. Sur la place des sciences humaines dans la recherche, voir J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Paris, Idéaphane, 2005.
2. J. Elayi, « L’avenir de la recherche en sciences humaines », La Croix, 18 octobre 2005.
3.   www.pactepour la recherche.fr
4.   J. Elayi, « Rien n’a vraiment changé au CNRS », Metro, 6 avril 2007.
5.   J. Elayi, « Rapport des historiens du Proche-Orient antique sur l’état de la recherche dans leur secteur », rapport à M. François d’Aubert, Ministre délégué à la recherche, Paris, novembre 2004 (paru dans Transeuphratène 31, 2006).
6.   Elayi, La face cachée de la recherche…, pp. 111-119.
7.   J. Elayi, « L’évaluation, une priorité de la nouvelle loi pour la recherche », Diplômées n° 216, mars 2006.

 

18. Article de Métro, 14 décembre 2007, « Au CNRS, rien ne va plus ! », Tribune de Josette Elayi.
Le gouvernement est accusé de mettre le système de recherche publique au service des entreprises et des objectifs politiques, notamment par une destruction programmée du CNRS. Qui accuse ? C’est surtout le mouvement contestataire Sauvons la Recherche, fondé en 2004 sur une base de corporatisme syndical. Il prétend représenter tous les chercheurs, ce qui est faux, mais la majorité reste malheureusement silencieuse. Il veut surtout sauver, avant la recherche, les privilèges de ses membres. A cause de ces chercheurs qui le discréditent, le CNRS, organisme exceptionnel créé en 1939, est devenu aujourd’hui un « grand corps malade ».
Sous une apparence scientifique et démocratique, il est rongé par le corporatisme le plus archaïque. L’évaluation de la recherche s’appuie trop souvent sur le copinage et pas sur les résultats scientifiques. Depuis plus d’un quart de siècle que je suis chercheuse au CNRS, je connais la situation de l’intérieur. Je suis bloquée dans ma recherche et ma carrière comme tous mes collègues qui n’appartiennent pas aux réseaux dominants. Le résultat, tout le monde le sait aujourd’hui, c’est une recherche médiocre (sauf exception) sur le plan  international.
Que prévoient les lois de réforme de la recherche (2006) et des universités (2007) pour résoudre les dysfonctionnements du CNRS ? Donner beaucoup de crédits en s’assurant au préalable que cet argent sera bien utilisé. Contrôler les résultats scientifiques grâce à la nouvelle Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Réaliser une réforme structurelle de ses 25.000 fonctionnaires. Mettre la recherche au centre des universités comme cela se fait partout dans le monde. Après les étapes de la loi Pécresse concernant les problèmes des étudiants, la Ministre va bientôt aborder ceux de la recherche : en particulier le statut des chercheurs et enseignants-chercheurs. Au lieu de continuer à se regarder le nombril, les contestataires du CNRS devrait regarder comment on fait de la recherche de qualité ailleurs dans le monde. Ils devraient comprendre que leur intérêt de négocier avec le gouvernement leur propre réforme, en restant vigilants pour éviter les dérives.
Josette ELAYI, chercheuse au CNRS, auteur de La face cachée de la recherche française.



19. Article de Diplômées, n° 223, décembre 2007, « La place de l’évaluation dans la réforme en cours de la recherche et des universités », par Josette Elayi, historienne, chercheur au CNRS et éditeur.
Pourquoi l’évaluation de la recherche est-elle cruciale (1) ? Les crédits et les postes sont nécessaires mais ils sont loin d’être suffisants. En effet, si l’évaluation n’est pas faite correctement, c’est le secteur de la recherche tout entier qui est remis en question et menacé. Pourquoi ? Parce qu’elle conditionne la qualité des chercheurs recrutés (tous les doctorants ne sont pas faits pour la recherche et il ne faut pas se tromper quand ils sont recrutés à vie !). Elle conditionne aussi le soutien financier et institutionnel apporté aux chercheurs compétents pour réaliser leurs projets, et le choix des chercheurs les plus brillants pour diriger les laboratoires et mettre en place les stratégies de la recherche qui engagent l’avenir.
Il faut savoir que la question de l’évaluation est très complexe, notamment parce qu’elle entre en conflit avec des intérêts divers. Elle a pour adversaires tous ceux qui craignent qu’elle mette en cause leurs capacités de chercheurs, aussi bien ceux qui sont installés dans le système que ceux qui veulent s’installer dans le nouveau système. D’où les dysfonctionnements de l’évaluation qui sont plus ou moins graves selon les secteurs (2). Pour le moment, au CNRS par exemple, à part quelques petits changements, les structures restent inchangées : on prépare les prochaines élections du Comité National sur les mêmes bases, avec les mêmes dysfonctionnements, et le plan stratégique des grands enjeux scientifiques et des missions du CNRS à l’horizon 2020. Pourtant, aussi bien le Comité National que Sauvons la Recherche et les syndicats craignent le démantèlement de cet organisme et accusent surtout l’AERES (Agence pour l’Evaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche).
L’AERES est un type de structure comme il en existe dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne : le Research Assessment Exercise, chargé d’évaluer la recherche dans les facultés et départements des universités, avec des conséquences financières importantes. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés que cette nouvelle Agence va devoir affronter (3). Les premiers points faibles auxquels elle devrait s’attaquer sont, à mon avis, les anomalies de recrutement des jeunes chercheurs, le blocage des chercheurs de qualité,  l’encouragement de la médiocrité et la déficience des stratégies de la recherche.
L’AERES est un outil indispensable et performant s’il est correctement utilisé : est-ce le cas aujourd’hui ? Certains aspects sont positifs. Après quelques mois de fonctionnement, elle a évalué 30 universités ainsi que 70 écoles doctorales. Elle devrait évaluer environ 1000 unités par an et, en 2008, le premier des deux grands organismes de recherche les plus problématiques : l’INSERM. Pour le CNRS, seules seront évaluées quelques unités de recherche : 7 par exemple pour la Section 32 qui, menacée dans ses prérogatives, conteste la représentativité des comités d’évaluation de l’AERES et avance de deux mois le calendrier des concours de recrutement et de promotion pour pouvoir continuer à exercer ses pratiques douteuses.
Dans son éditorial du 26 novembre dernier, le Président Jean-François Dhainaut revendiquait la transparence des rapports d’évaluation, publiés sur le site de l’AERES, mais il faudrait que la publication soit rapide et le nom des évaluateurs mentionné, avec leur CV scientifique pour vérifier leur compétence. Il affirmait aussi l’ambition de l’Agence de s’aligner sur les normes européennes et de se soumettre en 2009 au processus d’accréditation de l’ENQA (European Association for Quality Assurance in Higher Education) : en mai 2005, les ministres des pays participant au processus de Bologne ont adopté des normes internationales pour établir des procédures de garantie de la qualité dans les établissements d’enseignement supérieur.
Une autre difficulté de l’évaluation de la recherche est le passage du résultat de l’évaluation à la décision. C’est une réflexion sur ce sujet qui vient d’être menée dans le Colloque international du 7 décembre au Ministère : « L’enseignement supérieur et la recherche : des évaluations à la décision ». Encadré par la Ministre Valérie Pécresse et le Président de l’AERES, il réunissait plusieurs spécialistes étrangers sur les questions suivantes : pourquoi et comment intégrer les différentes évaluations dans une approche globale de l’établissement d’enseignement supérieur ? Quelle fonction l’évaluation indépendante doit-elle jouer dans la relation Etat/établissement ?
Parmi les nombreuses critiques formulées contre l’AERES, certaines semblent cependant fondées. La loi de programme pour la recherche de 2006 prévoyait 4 missions d’évaluation : 1) pour les établissements et organismes d’enseignement supérieur et de recherche, 2) les unités de recherche, 3) les formations et les diplômes, 4) et la validation des procédures d’évaluation des personnels des établissements et des organismes et de leurs conditions de mise en œuvre. Dans le décret du 3 novembre 2006, la quatrième mission a été fusionnée avec la première. Au final, dans les 3 sections qui ont été créées, il n’y a plus trace de l’évaluation des personnes. Pourtant, si une équipe ne donne pas de résultats valables, si un établissement n’a pas de poids scientifique à l’échelle internationale, c’est d’abord la base qu’il faut remettre en cause : les chercheurs ou enseignants-chercheurs recrutés sans avoir la compétence nécessaire et qui vont produire de la médiocrité, toute leur vie s’ils sont fonctionnaires. C’est ce premier niveau que l’AERES devrait d’abord contrôler, mais elle ne le fait pas.
Il est prévu que son Conseil doit comprendre « 7 personnalités du monde de la recherche » nommées, ce qui n’est pas tout à fait le cas. Les 14 autres chercheurs et enseignants-chercheurs proposés par les établissements et les organismes n’ont pas tous non plus le meilleur niveau scientifique. Sur les 25 membres de ce Conseil « français ou étrangers », il n’y a qu’un seul professeur étranger. Quand on en a demandé la raison à Jean-Marc Monteil, le précédent Président, il a répondu : « Nous ferons appel à eux lorsque nous aurons besoin d’experts étrangers, mais pas forcément lorsque les experts français sont les meilleurs dans un domaine ». En réalité, on a la nette impression, en lisant les noms des membres de l’AERES, que les mentalités n’ont pas changé et que la « culture du réseau » à la française y est toujours bien présente, soit les anciens réseaux qui ont réussi à s’y infiltrer, soit les nouveaux qui s’y sont installés. D’autre part, bien que l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) ait son propre comité d’évaluation pour ses projets, la transparence fait plutôt défaut, la « culture du réseau » y semble aussi présente et ne conduit pas toujours à financer les meilleurs projets. Aussi l’AERES devrait avoir également un droit de regard sur l’évaluation de cette agence.
Quelles sont les perspectives de l’AERES ? On ne peut pas perdre de temps car la recherche est en péril et on ne peut pas attendre que les choses évoluent d’elles-mêmes. Il est difficile de conserver des superpositions de structures dans cette étape transitoire : les anciennes se dégradent et les nouvelles ne sont pas vraiment opérationnelles. Comme le faisait justement remarquer Pierre Chambon, professeur au Collège de France : “ Si l’on garde le comité d’évaluation du CNRS et de l’INSERM dans leur état actuel, rien ne changera ”. Valérie Pécresse insistait sur le rôle de l’AERES dans un interview au Monde le 17 octobre : “ Pour la recherche, ma vision repose sur 4 piliers :- des universités puissantes et autonomes, - une recherche sur projets dynamique, - des organismes menant une politique scientifique d’excellence, - enfin une recherche privée plus active. Ces 4 piliers, qui bénéficieront de l’expertise de la nouvelle AERES, sont complémentaires ”. Une évaluation de qualité ne pourra se faire, à mon avis, que dans la transparence des objectifs gouvernementaux et grâce à un vrai dialogue entre le gouvernement et tous les acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur, en effectuant de part et d’autre les efforts nécessaires pour atteindre un minimum d’objectifs communs.
Notes
1. Ce texte est une version abrégée et mise à jour de ma conférence à la « Table ronde de l’AFDU (Groupe de Paris Ile de France) sur la recherche en France », du 20 octobre 2007.
2.   Pour les dysfonctionnements de la recherche, voir J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Paris 2005 ; pour les dysfonctionnements de l’Université, la lettre publiée sur internet par X. Dunezat et l’article du Monde du 16 octobre 2007 : « Copinage et mépris des étudiants : un enseignant ouvre le débat sur le recrutement à l’université ».
3.   J. Elayi, « L’évaluation, une priorité de la nouvelle loi pour la recherche », Diplômées 216, mars 2006, pp. 37-39 ; « Où en est le projet d’évaluation de la recherche ? », Diplômées 218, septembre 2006, pp. 174-175.

 

20. Article du Figaro, 1er janvier 2008, « Quel avenir pour le CNRS ? », par Josette Elayi.
Créé en 1939 par Jean Perrin, le CNRS était un organisme exceptionnel que beaucoup nous enviaient pour la liberté de ses chercheurs (fonctionnaires depuis 1984) et du choix de ses thèmes de recherche. Mais aujourd’hui, cet organisme emploie plus de 31.700 personnes, dont plus de 25.000 sont fonctionnaires (11.600 chercheurs et 14.000 ingénieurs et techniciens), et rien ne va plus : ébranlé par la crise de la recherche, où va donc le CNRS ?
Pour utiliser des formules à la mode, ce « grand corps malade » pourrait devenir un « grand cadavre à la renverse » s’il continue à s’enfoncer dans les certitudes, l’immobilisme et la médiocrité de certaines corporations de chercheurs, comme le montrent la plupart des indicateurs. Tout le monde s’accorde sur la nécessité incontournable d’une réforme, mais seule une réforme structurelle pourra apporter des solutions. Sous une apparence scientifique et démocratique dans son évaluation de la recherche, le Comité National du CNRS est trop souvent rongé par le corporatisme le plus archaïque ; il ne cesse de réclamer à l’Etat des crédits et des postes pour perpétuer un système à bout de souffle et incontrôlé. Le mouvement Sauvons la Recherche, constitué en 2004 sur la base d’un corporatisme syndical et non-représentatif de toute la communauté scientifique, est revenu sur le devant de la scène avec la manifestation du 6 décembre, avec les mêmes revendications catégorielles.
Depuis 2004, le gouvernement a entrepris une réforme globale de la recherche : la loi de programme pour la recherche (LPR), amorcée par François Fillon, finalisée par François Goulard et votée le 6 avril 2006, a été complétée par la loi de réforme des universités (LRU), finalisée par Valérie Pécresse et votée le 1er août 2007. La LPR a créé l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui fonctionne depuis 2005 et l’Agence pour l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES) qui a démarré cette année. Le CNRS profite du financement sur projets de l’ANR mais il n’y a toujours aucun contrôle objectif sur l’usage des crédits alloués à ses équipes, sur la compétence de ses chercheurs recrutés à vie et sur la qualité scientifique des résultats obtenus.
Si le CNRS persiste dans une telle attitude de repli préjudiciable à la recherche, quelles sont les conséquences prévisibles ? Soit la réforme de la recherche échoue ou débouche sur une « réformette », soit la stratégie de contournement progressivement mise en place à travers l’ANR et les universités réduira au final le CNRS à un rôle mineur. Tous les décideurs du CNRS devraient comprendre que les intérêts scientifiques de leur organisme et leurs intérêts particuliers sont subordonnés à la négociation avec le gouvernement d’une vraie réforme structurelle qui l’assainisse et le préserve.
Mais le temps presse pour réformer comme l’a rappelé le Président Sarkozy, car la recherche internationale n’attend pas que la recherche française ait comblé son retard, et le palmarès mondial des universités est publié chaque année sans appel.
* Chercheur au CNRS, historienne.

 

21. Article de Métro, 5 mars 2008, « L’exception française justifie-t-elle la médiocrité de la recherche ? », Tribune de Josette Elayi.
Depuis 6 ans déjà, le « classement de Shangaï », classement scientifique des 500 meilleures universités dans le monde, fait autorité partout même si ses critères sont souvent contestés. Les universités françaises y sont toujours aussi mal classées : rappelons qu’en 2007, la première, l’université de Paris 6, était seulement à la 39e place. Dans le classement 2008 qui vient de paraître, en dehors de Paris 11 classée 25e en mathématiques, dans les autres domaines, aucune université française ne figure dans les 50 premières. Les chercheurs et enseignants-chercheurs qui ont manifesté le 4 mars devant leur Ministère (à peine un peu plus de 200) vont-ils continuer à suivre la politique de l’autruche ? Ils refusent ce classement qui est à présent, qu’ils le veuillent ou non, la référence internationale. Faut-il cultiver l’exception française dans le secteur de la recherche : l’important est-il de réussir ou d’être différent en restant médiocre ?
Qu’est-ce qui ne va plus aujourd’hui dans cette exception ? C’est tout d’abord le morcellement de notre système en universités, grandes écoles et organismes de recherche, alors que, partout dans le monde, la recherche est surtout concentrée dans les universités. Il est indispensable d’augmenter la visibilité de nos universités, en essayant de les regrouper autour de grands pôles de recherche et d’enseignement supérieur, en leur associant grandes écoles et organismes de recherche. Ce qui ne va pas non plus, c’est que l’évaluation de la qualité de la recherche se fait trop souvent en vase clos, par cooptation entre pairs, sans faire appel à des experts extérieurs et indépendants. D’où la création de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur qui est combattue avant même de pouvoir faire ses preuves. Ce qui ne va pas, c’est la rigidité de tout notre système qui a besoin de restructuration. Par exemple, dans la feuille de route que la Ministre Valérie Pécresse vient d’envoyer à la Présidente du CNRS, elle lui demande de réfléchir à la modernisation de son organisme. Ce qui ne va pas enfin, c’est la distribution insuffisamment contrôlée des crédits, avec l’argent des contribuables. Tout chercheur actif a besoin d’outils de travail comme la boulanger pour faire son pain : je peux témoigner qu’en 23 ans au CNRS je n’ai même pas eu droit à une photocopie gratuite ! Il faut donner des moyens à la recherche, mais en contrôlant l’usage que les laboratoires en font.
Au lieu de persister dans une posture contestataire stérile et suicidaire, il serait plus responsable d’aller de l’avant en acceptant la réforme de la recherche et des universités, en participant à son élaboration et en surveillant sa mise en place.
Josette ELAYI, chercheur au CNRS

 

22. Article de La Croix, 17 avril 2008, « Le mauvais classement de Shangaï est-il une fatalité pour nos universités ? »,  par Josette Elayi dans Forum.
Depuis 2003, le « classement de Shangaï », classement scientifique annuel des 500 meilleures universités, fait autorité dans le monde même si ses critères sont souvent contestés. Il fait trembler les milieux universitaires, en France comme ailleurs :en 2007, la première université française était seulement à la 39e place. Le classement 2008 vient de paraître, par grandes disciplines : Paris 11 est classée 25e en mathématiques, mais en informatique, sciences de la vie et médecine, aucune université française ne figure dans les 50 premières et en sciences sociales, aucune dans les 100 premières. Certains ont essayé d’ignorer ce classement, d’autres ont cherché à créer des classements de substitution comme le classement espagnol Webometrics, peu fiable car, par exemple, il compare le CNRS avec ses mille laboratoires au seul laboratoire américain de Los Alamos.
Le projet de classement annoncé par la Ministre Valérie Pécresse semble plus sérieux : élaborer le « classement de Bruxelles » des universités européennes en profitant de la prochaine présidence française de l’Union européenne. Les critères seraient la qualité des formations et de la recherche, des locaux et de la vie sur les campus ; il serait conçu comme un label qualité pour les étudiants européens. En réalité, le classement de Bruxelles me semble surtout utile pour les sciences humaines, absentes du classement de Shangaï. La construction d’une base de données européennes classant les revues européennes en sciences humaines, commencée en 2002, doit être finalisée ; elle doit aussi inclure les livres, essentiels dans ce secteur de recherche. Ce classement ne remplacerait pas le classement de Shangaï, mais le complèterait.
Il est clair aujourd’hui que le classement de Shangaï est incontournable. Donc, la seule attitude constructive consiste à chercher comment les universités françaises peuvent remonter dans ce classement. Le premier moyen, artificiel mais indispensable, est d’augmenter la visibilité de nos universités, en essayant de compenser le morcellement particulier du système français (universités, grandes écoles, organismes de recherche) car la recherche est au cœur des universités partout dans le monde. La Ministre voudrait regrouper l’ensemble de nos universités autour de 15 grands pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), où auraient leur place les petites universités de sciences humaines. Le second moyen, essentiel, est d’assurer la qualité de notre recherche et la validité de ses stratégies par une évaluation indépendante et internationale : telle est la mission de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES). Dans la feuille de route que la Ministre vient d’envoyer à la Présidente du CNRS, elle lui demande d’articuler les missions du Comité National avec celles de l’AERES, et de réfléchir à la modernisation du CNRS par une réforme structurelle en redéfinissant son partenariat avec les universités. Le troisième moyen, nécessaire mais insuffisant à lui seul, est de donner à tous les laboratoires compétents les moyens financiers et les ressources humaines nécessaires.
Ce programme, en chantier depuis 2004, est ambitieux et difficile, mais il a des chances de réussir s’il garde sa cohérence à travers les aléas politiques et s’il est conduit par une volonté commune et une concertation permanente entre le gouvernement et tous les acteurs de la recherche.
Josette ELAYI, chercheur au CNRS


23. Article de Diplômées, n° 225, juin 2008, « Plaidoyer pour la création d’un Institut Oriental Français », par Josette Elayi, Chercheur orientaliste et éditeur.
Certains ont accusé la réforme de la recherche et des universités d’avoir pour objectif de réduire ou même de supprimer les SHS (Sciences Humaines et Sociales). Pourtant, les SHS figurent dans les programmes blancs et thématiques de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche). Au CNRS, il est question de les restructurer en 4 instituts, en gardant les équipements lourds, les instituts français à l’étranger et l’archéologie préventive (1). Au lieu de s’opposer de manière stérile à cette réforme vitale en train de se faire, il vaudrait mieux participer à son élaboration par des propositions, comme l’a demandé la Ministre Valérie Pécresse. On éviterait ainsi les propositions malveillantes de ceux qui menacent les SHS et les propositions incompétentes comme par exemple celle d’un pôle « Etudes du passé » qui ne veut rien dire.
Que peut-on proposer pour préserver au mieux et dynamiser les SHS, par exemple dans mon domaine qui est la recherche orientaliste ? Les chercheurs orientalistes sont ceux qui pratiquent les « disciplines des orchidées » comme les appellent de façon originale leurs collègues suisses. Ce secteur de la recherche correspond en réalité à une tradition française : l’histoire des civilisations du Proche-Orient (études araméennes, phéniciennes, bibliques), de l’Irak (assyriologie), de l’Egypte (égyptologie), de la Turquie (hittitologie), de l’Iran, de Chypre, etc. Il repose essentiellement sur l’apprentissage des langues orientales et sur les fouilles archéologiques. Jusqu’à présent, il était concentré au CNRS, au Collège de France, dans quelques établissements publics ou privés comme l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, l’Institut National des Langues Orientales, l’Institut Catholique, l’Ecole du Louvre, et dans des instituts français à l’étranger (Beyrouth, Damas, Amman, Jérusalem, Le Caire, Istanbul) (2).
La réforme actuelle offre l’opportunité de créer au CNRS un Institut Oriental Français. On pourrait s’inspirer à la fois de l’Institut Oriental de l’Université de Chicago et de l’Institut Néerlandais du Proche-Orient relié à l’Université de Leiden, mais en construisant une structure adaptée aux réalités françaises. Il faudrait par exemple supprimer de façon sélective les doublons d’équipes inutiles et ruineux. Il faudrait opérer un recentrage disciplinaire car on ne peut pas garder toutes les disciplines orientalistes qui sont devenues bien trop nombreuses. Il faudrait mettre en place une stratégie scientifique intelligente en s’appuyant surtout sur le Collège de France pour l’enseignement des langues orientales et sur les instituts français à l’étranger pour la recherche archéologique.
Les résultats remarquables obtenus par les instituts américain et néerlandais montrent clairement qu’un Institut Orientaliste Français préserverait l’essentiel de l’enseignement et de la recherche orientalistes, qu’il aurait un grand rayonnement international en attirant les chercheurs étrangers et qu’il aurait des retombées économiques substantielles. Cet Institut formerait en effet des spécialistes des pays arabes, de la Turquie ou de l’Iran par exemple, indispensables au développement des relations extérieures et de l’économie de la France. Il produirait des résultats économiques concrets comme le développement touristique et culturel (musées, expositions) ou plus inattendus comme la découverte d’une mine du Yémen, qui avait échappé aux prospections géologiques, grâce aux textes anciens. Il permettrait enfin de préserver un secteur de recherche et une tradition d’humanisme où la France a toujours excellé, en apportant une ouverture indispensable sur le monde par la connaissance d’autres cultures et d’autres mentalités, source de relativisme et de tolérance.
1. « La présidente du CNRS veut réformer sans sacrifier la pluridisciplinarité, ‘force’ de son organisme », entretien, Le Monde, 2 avril 2008 ; J. Elayi, « Quel avenir pour le CNRS ? », Le Figaro, 1er janvier 2008.
2. J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Idéaphane, Paris 2005 ; Réflexions croisées sur le ‘métier’ d’historien du Proche-Orient antique, Transeuphratène 31, Gabalda, Paris 2006.

24. Article de Métro, 17 décembre 2008, « Du bon et du mauvais usage de Wikipédia », Tribune de Josette Elayi.
Wikipédia est une encyclopédie en ligne lancée en 2001 par le philosophe Larry Sanger et l’homme d’affaires Jimmy Wales, qui contient aujourd’hui plus de 6 millions d’articles en 250 langues. On connaît le principe de ce site qui est l’un des plus visités sur le web : le contenu de ses articles est fourni par les internautes que rien n’oblige à s’identifier. C’est une entreprise originale que tout le monde a pu un jour ou l’autre apprécier. La célèbre revue américaine « Nature » a même écrit qu’elle était aussi valable que l’encyclopédie classique « Britannica », ce qui est un peu excessif. Je me sers moi-même de ce précieux outil pour les sujets dont j’ignore tout, quand j’ai besoin d’une information de base et de pistes pour la vérifier et l’affiner. Beaucoup de sujets me semblent traités par des spécialistes sérieux et objectifs. L’un des avantages du système est que, dans le domaine de ma spécialité, si je constate des erreurs, je peux les corriger. De cette façon, les rubriques sont sans cesse mises à jour et améliorées.
Quelle n’a donc pas été ma surprise en découvrant par hasard, huit mois après sa rédaction, qu’il y avait une biographie de « personnalité » à mon nom ! Etant chercheuse en histoire ancienne au CNRS, c’est un cadeau que d’être considérée comme une personnalité. Mais ce cadeau est empoisonné, ceux qui me l’ont fait voulant régler un compte avec moi et avec le journal Métro car il « a relayé mes propos [...] reprenant les arguments prônés par le ministère de la recherche » et prononçant « l’anathème » contre le CNRS. La notice se réduit à des informations malveillantes et presque toutes erronées. Les auteurs, dissimulés derrière l’anonymat, sont sans doute des collègues du CNRS, qui m’ont bloquée pendant un quart de siècle et dont j’ai révélé les intrigues.
Le fait qu’il suffise de cliquer sur « modifier » ouvre évidemment la porte à tous les abus. Pour rester dans la rubrique des biographies de personnalités, la presse américaine avait révélé en 2006 que plusieurs parlementaires avaient modifié leur biographie pour la rendre plus flatteuse. En 2005, un journaliste avait découvert dans sa biographie qu’il était soupçonné de complicité dans l’assassinat des frères Kennedy. Pour éviter ce type de dérive qui nuit à la crédibilité de l’encyclopédie, les administrateurs de Wikipédia ont décidé de supprimer ou protéger certaines pages (comme la biographie de Dieudonné). Mais ce n’est pas suffisant : ils devraient faire contrôler systématiquement les biographies des personnalités vivantes, quand elles semblent diffamatoires ou trop élogieuses.
Josette ELAYI, chercheuse honoraire au CNRS
Auteur de La face cachée de la recherche française


25. Emission de Julie Clarini, France-culture, 23 novembre 2004, « Faut-il réformer l’évaluation de la recherche ? », débat avec Josette Elayi, Francis-André Wolmann, Philippe Lazar et Franck Debié.

 

26. Emission de Patrick Chompré « Le monde change », Radio-France International, 21 novembre 2005, « La face cachée de la recherche française », interview de Josette Elayi.



27. Article de La Tribune, 6 octobre 2004, p. 30, « L’évaluation au centre des débats »
par Yann de Kerorgen (extrait)
« L’évaluation ! C’est un des thèmes centraux des états généraux de la recherche. Les chercheurs sont majoritaires à penser que peu d’activités sont aussi évaluées que la recherche. En témoigne la multiplicité des structures d’évaluation. Les évaluateurs, qui sont des chercheurs élus, apportent leurs compétences pour assurer une mission demandant beaucoup de temps, sans être rémunérés. Sans doute faut-il rendre le système plus cohérent, admettent les scientifiques du CIP, Comité d’initiative et de proposition, qui a pour tâche de faire la synthèse des propositions des scientifiques, et les experts en prospective qui ont planché sur le sujet… Plus compliquée est la question de la « certification » scientifique des individus, des équipes et de leurs travaux. Certaines voix dissonantes se font entendre sur la neutralité de l’évaluation des chercheurs eux-mêmes. Pour Josette Elayi, « certaines sections pratiquent l’auto-évaluation et le self-service, favorisant les chercheurs de leurs labos, dans l’opacité la plus totale ». Pour cette chercheure du CNRS en histoire ancienne, les évaluateurs universitaires n’ont jamais été eux-mêmes évalués. Débat contradictoire… »

 

28. Article de La Croix, 4 novembre 2004, « Les chercheurs réclament une meilleure évaluation de leurs travaux », par Denis Sergent (extrait)
« Un chercheur ne sait jamais ce que les évaluateurs pensent de la qualité de sa recherche, ni pourquoi il a été promu ou bloqué. J’ai fait 17 demandes de promotion et une dizaine de demandes de financement de projets, toutes ont été refusées », s’indigne Josette Elayi, historienne spécialiste des Phéniciens et chercheur au CNRS depuis vingt-deux ans (Pièges pour historien et recherche en péril, Idéaphane, 192 p., 19 euros ; Josette Elayi organise, le 5 novembre à l’Institut Catholique, une table ronde sur le métier d’historien)… Enfin l’éthique a aussi son mot à dire concernant l’évaluation. Ainsi, le comité d’éthique du CNRS (Comets), présidé par l’astrophysicien Pierre Léna, insiste-t-il sur « les responsabilités éthiques des évaluateurs » qui doivent avoir « le courage de résister aux pressions éventuelles exercées par les évalués, les dirigeants d’organismes, le pouvoir politique ou même l’opinion publique...
Au CNRS, pour assurer cette évaluation, ce sont près de 1 000 experts, nationaux et internationaux théoriquement, répartis au sein des 40 sections du Comité national de la recherche scientifique, qui examinent le travail des chercheurs tous les deux ans, et l’activité des laboratoires tous les quatre ans. Si son fonctionnement est améliorable comme le souhaite Josette Elayi qui lui reproche « manque de transparence et favoritisme », il semble néanmoins que ce soit là « l’un des moins mauvais systèmes de contrôle a posteriori », assure Michel Crozon, physicien ».

 

29. Article de La Croix, 28 février 2006, « Le CNRS tente de trouver une sortie de crise », par Denis Sergent (extrait)
« Ce statut, précisément, est à l’origine d’autres critiques. ‘’Le fait que le chercheur soit un fonctionnaire a tendance à le scléroser’’, disent certains. En l’absence de carotte et de bâton, c’est-à-dire de primes dignes de ce nom, l’avancement de carrière des techniciens notamment est particulièrement difficile. ‘’La fonctionnarisation est une bonne chose, à condition que l’on ne recrute pas à vie et que l’on s’assure que la personne est compétente et réalise des travaux de qualité, insiste Josette Elayi, 60 ans, historienne de l’Antiquité, spécialiste des Phéniciens. D’où le point crucial, dans la vie d’un organisme comme le CNRS, de la qualité de l’évaluation ».

 

30. Article du Figaro, 3 février 2009, Comment poursuivre sereinement la réforme des universités ?, par Josette Elayi*
La réforme des universités rencontre aujourd’hui un mouvement de contestation qui paraît dépasser les revendications catégorielles des enseignants-chercheurs et dont il faut tenir compte. Le malaise de nos universités est bien réel, amplifié certainement par l’inquiétude suscitée par la crise financière internationale depuis l’automne dernier. Avant cet événement majeur, les difficultés des universités étaient reconnues par tous et avaient provoqué un consensus sur la nécessité de les réformer ; certes, comme dans tout pays démocratique, il existait des divergences par rapport à la réforme de la ministre, Valérie Pécresse, que l’on aurait sans doute pu résoudre par le dialogue. Mais à présent que la crise est là, il semble y avoir un fort durcissement des positions respectives.
Du côté des opposants, certains y voient des raisons pour refuser cette réforme « autoritaire » : l’intervention du secteur privé dans la recherche aurait perdu de son charme et ce seraient à présent les postes de fonctionnaires qui présenteraient le plus d’attrait. Des postes supplémentaires seraient donc nécessaires pour attirer les jeunes cerveaux et gérer  les étudiants qui risquent de prolonger leurs études par crainte de se jeter dans un marché du travail difficile.
On a dit aussi que la crise marquait la faillite du « modèle américain » sur lequel s’est appuyée la réforme des universités. Le président Obama lui-même aurait désavoué la politique reaganiste dans les domaines scientifique, universitaire et éducatif, et préconisé un renforcement de la recherche publique.
Du côté du gouvernement, l’accélération de la réforme est la meilleure réponse à la crise : « La crise nous donne l’occasion d’accélérer la modernisation des structures obsolètes et de changer nos mentalités », déclarait le président Sarkozy dans son discours du 22 janvier.
Mais le décret qui réforme le statut des enseignants-chercheurs, nouvelle étape dans la réforme des universités, a suscité une fronde qui semble dépasser les clivages droite-gauche, malgré les explications et les amendements apportés par la ministre. On ne voit pas en quoi le maintien du statu quo et l’augmentation des dépenses publiques de recherche et d’enseignement résoudraient les problèmes actuels, et il ne serait pas souhaitable non plus d’envisager une réforme qui ne tiendrait pas assez compte des aspirations légitimes de la communauté scientifique.
Pour sortir de ce dialogue de sourds et savoir si la réforme des universités est valable, il y aurait une solution : faire une expérience en temps réel en choisissant une université témoin et en lui appliquant en totalité et en accéléré cette réforme. Une seule université et non pas dix car l’expérience serait plus rapide et les risques limités à cet établissement. Cette université témoin devrait être choisie en fonction de sa potentialité et sur la base du volontariat. L’expérience devrait se dérouler en toute transparence pour que tout le monde puisse suivre en permanence son évolution, ses conséquences et ses résultats : au lieu de prêter au gouvernement de noirs desseins et de se livrer à des affirmations gratuites, on saurait exactement quels sont les objectifs de cette réforme.
On verrait fonctionner par exemple la gouvernance, la stratégie, le financement, le recrutement et l’évaluation, la modulation des services, les statuts et la gestion des carrières, les modalités d’inscription des étudiants, etc. Si l’expérience échoue, le gouvernement devra revoir sa copie, mais si elle réussit, les opposants seront obligés d’adhérer sans réserve à la réforme ; si certains points demandent des améliorations, elles pourront être faites en connaissance de cause.
Avec le retour d’expérience, il sera plus facile ensuite d’adapter la réforme aux autres universités. Cette expérience grandeur nature demandera peut-être plus de temps, mais, au final, elle en fera gagner en réconciliant tous les intéressés et en levant ainsi les obstacles.
De plus, pendant son déroulement, la réforme de la ministre pourrait continuer, mais en douceur, sans précipitation, en prenant le temps de la concertation, et en marquant des pauses si nécessaire. Cette expérience serait une sorte de contrat moral entre le gouvernement et la communauté scientifique et universitaire, qui permettrait au mieux de faire face ensemble à la crise et de poursuivre avec intelligence la réforme en cours, sans chercher ni à la radicaliser ni à la jeter aux oubliettes.
* Cette chercheuse honoraire au CNRS, auteur de La face cachée de la recherche française, considère que le meilleur moyen de tester la réforme des universités annoncée serait de la mettre en œuvre dans un établissement pilote.


31. Article de Diplômées, n° 228, mars 2009, Où en est aujourd’hui la réforme du CNRS ?, par Josette Elayi, Chercheur honoraire au CNRS
(Rappel : les articles publiés dans la Revue « Diplômées » n’engagent que leurs auteurs)

La réforme du CNRS est un constituant majeur des réformes de la recherche et de l’enseignement supérieur parce qu’il représente une grande partie de la recherche française. Initiée par la LPR (1) de François Goulard en 2006, où en est aujourd’hui cette réforme ?
Pour rappeler la nécessité de réformer cet organisme, je donnerai un exemple d’un de ses dysfonctionnements (2). Le CNRS vient de me proposer la Médaille du CNRS gravée à mon nom, qu’il décerne à tous les chercheurs retraités « qui ont participé à l’activité de recherche, ou à son soutien, et ont contribué au rayonnement de l’établissement ». Cela peut paraître choquant à certains, mais j’ai dû refuser cet honneur : pourquoi ? J’ai été chercheur au CNRS pendant plus de 25 ans. J’avais mis dans cet organisme, que beaucoup de pays nous enviaient, de grandes espérances : il me permettait de faire de la recherche à plein temps, sans obligation d’enseignement et en toute liberté pour le choix de mes orientations. J’étais fonctionnaire, ce qui m’apportait sécurité, tranquillité et visibilité. Tout semblait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais j’ai vite déchanté... C’était sans compter avec le Comité national du CNRS chargé de recruter les jeunes chercheurs, d’évaluer les chercheurs et les équipes. Sous une apparence scientifique et démocratique, il est en partie noyauté par des chercheurs pratiquant le clientélisme et la discrimination sexiste et autre, responsables de l’immobilisme et de la médiocrité de certains secteurs de la recherche, comme le montrent presque tous les indicateurs internationaux. A cause de ces chercheurs, le CNRS ne m’a pratiquement jamais accordé aucun crédit pour développer mes projets de recherche ; il a bloqué ma carrière et m’a refusé une prolongation d’activité, qu’il accorde même à mes collègues les plus médiocres.
Sans appui du CNRS en dehors de mon salaire, j’ai donc été obligée de constituer mon propre groupe de recherche, fondé sur un réseau scientifique international, en collectant ailleurs des crédits publics et privés pour le faire fonctionner. L’importance de mon entreprise et de mes travaux a été reconnue par la communauté scientifique, par des prix de l’Académie et par le Ministre de la recherche qui m’a remis la Légion d’honneur. Après ce traitement injuste dont j’ai été victime, je ne peux pas cautionner un système qui accorde sans distinction cette Médaille à tous les chercheurs fonctionnaires, bons ou mauvais, qui n’encourage pas la réussite et ne récompense pas le mérite. Voilà, entre autres, pourquoi il est nécessaire de réformer en profondeur cet organisme exceptionnel, pour l’assainir et lui redonner sa vraie place dans le 21e siècle.
Le dernier plan stratégique du CNRS a été adopté en juillet 2008. Le 27 novembre 2008, le Conseil d’administration du CNRS a approuvé sa restructuration en 9 instituts remplaçant les anciens départements (chimie, écologie et environnement, physique, physique nucléaire et des particules, sciences biologiques, sciences humaines et sociales, sciences mathématiques, information et ingénierie, sciences de l’univers), et en 3 pôles transverses. La Présidente et le Directeur général ont annoncé un budget 2009 en croissance de 3 M €, 300 nouveaux postes de chercheurs et 90 chaires CNRS-Universités, et la Ministre a annoncé des crédits supplémentaires au titre du plan de relance.
Les 9 instituts sont créés depuis début janvier 2009. Ils doivent assurer chacun les fonctions d’un opérateur de recherche, d’une agence de moyens humains et financiers et d’un coordinateur national de la prospective, avec des équipes de direction renforcées, dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens. Leurs missions consistent d’un côté à accompagner le développement de la recherche dans les universités par l’allocation de dotations, l’affectation de chercheurs ou d’ITA, ou le financement de projets à risques, et de l’autre à co-piloter et co-gérer des laboratoires essentiels dans le tissu scientifique de notre pays. Un fonds de dotation CNRS doit être créé comme outil d’intervention rapide et efficace, initiative qui développerait la culture du mécénat pour la recherche.
Si des étapes importantes ont déjà été franchies, la route est encore longue et la réforme du CNRS doit être conduite à son terme pour réussir. Le difficile problème de l’évaluation n’est pas encore totalement résolu : si l’évaluation des organismes et des équipes est maintenant assuré, non sans peine, par l’AERES (3), l’évaluation des chercheurs est toujours aux mains du Comité National, dont les dysfonctionnements n’ont pas disparu. La question du statut des chercheurs reste en suspens : vont-ils tous devenir des enseignants-chercheurs ? Comment va se faire la coordination avec les universités que la LRU (4) de Valérie Pécresse veut placer au centre de la recherche ?  A vrai dire, l’évolution de la réforme du CNRS dépend de celle de la réforme des universités, beaucoup plus difficile à appliquer, et dont l’autonomie n’est qu’un point de départ.
En tout cas, que ce soit dans le cadre des organismes de recherche ou dans les universités, il faudrait que tous les chercheurs compétents puissent mener une recherche de qualité, dont la France a plus que jamais besoin dans la tourmente de la crise financière internationale. Cette réforme, nécessaire comme tous s’accordent à le reconnaître, dont les bases ont été posées, a besoin pour se poursuivre et aboutir, d’un dialogue dépassionné, responsable et constructif entre le gouvernement, la direction du CNRS et tous les acteurs de la recherche. Dépassionné car les provocations et les blocages ne mènent à rien. Responsable car chacun doit évaluer les conséquences de sa position et de son action dans la conjoncture actuelle difficile. Constructif enfin car la réforme du CNRS ne pourra réussir que si l’objectif prioritaire de tous est l’excellence scientifique.

  1. Loi de Programme pour la Recherche, votée le 6 avril 2006.
  2. Voir J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Paris 2005.
  3. Agence pour l’Evaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Voir J. Elayi, « La place de l’évaluation dans la réforme en cours de la recherche et des universités », Diplômées, n° 223, décembre 2007.
  4. Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités, votée le 10 août 2007.

 

32. Article de Diplômées, n° 229, juin 2009, Pour une vraie sortie de crise des universités, par Josette Elayi, Chercheur honoraire au CNRS et ancienne universitaire

Il est sans doute trop tôt pour dresser un bilan du mouvement universitaire de contestation contre la réforme des universités engagée par le gouvernement (LRU) (1), le plus long dans l’histoire récente car il a commencé en février et duré quatre mois. Peut-être était-ce seulement « une frange du mouvement qui se radicalise et qui nous dit ‘retirez tout’ » comme l’a dit la Ministre Valérie Pécresse, et une « minorité » qui a essayé de « gâcher l’avenir de la majorité » comme l’a déclaré le premier Ministre François Fillon. Le gouvernement et le mouvement contestataire n’ont cessé de se renvoyer la responsabilité des blocages et de s’accuser « de casser le service public ». Mais tout le monde sait que le malaise de nos universités est bien réel, même s’il a été amplifié par l’inquiétude suscitée par la crise financière internationale depuis l’automne dernier. Les universités ont été en partie paralysées par des actions multiformes, y compris la grève de la faim, alors que la crise financière demanderait au contraire des efforts prodigieux en faveur de la formation et de la recherche. Maintenant que la situation dans les universités est normalisée, il faut espérer que les universitaires, dont le salaire n’a pas été amputé de leurs jours de grève, assureront la tenue des examens jusqu’en octobre, que les diplômes ne seront pas dévalorisés, et que les étudiants les plus fragiles ne seront pas pénalisés. Mais est-on sûr que la crise des universités est finie et que la contestation ne reprendra pas de plus belle à la rentrée ? Et que fera-t-on si la réforme reste inachevée ou se dénature à force de temporisation et de compromis (2) ?
Toutes les personnes concernées s’accordent pourtant sur la nécessité absolue d’une réforme des universités, car elles comprennent l’obligation de s’adapter au contexte international. Connaissant l’échec des gouvernements successifs à réformer l’enseignement supérieur et la recherche, et la difficulté d’établir un dialogue constructif avec les chercheurs et les enseignants-chercheurs, sommes-nous condamnés à l’imposition arbitraire d’une réforme par le gouvernement, ou au maintien du statu quo ? Certainement pas car il existe des solutions réalistes et responsables pour une vraie sortie de la crise des universités et une application consensuelle de la réforme.
On pourrait d’abord, comme je l’ai proposé dans un article du 3 février dernier (3), vérifier si la réforme des universités de la Ministre est valable, en la testant dans une université pilote, type d’établissement qui est bien connu de par le monde pour tester de nouvelles expériences. Louis Vogel, Président de l’Université Paris-II Panthéon-Assas, a déclaré lui aussi lors d’un point de presse le 9 avril : « On ne peut pas imposer ces changements très difficiles, il faut des mesures de transition, faire des essais, avoir l’accord des enseignants-chercheurs, mettre les interlocuteurs en position de discuter ». Si le mouvement contestataire a refusé la LRU, c’est nécessairement parce qu’il a une autre conception de la réforme, dont on a perçu quelques éléments dans les déclarations des uns et des autres (4). J’ajouterai donc à ma première proposition d’un test de la réforme du gouvernement, un deuxième test parallèle de la réforme telle que la conçoit le mouvement contestataire. Au final, on devrait retenir le test qui serait le plus concluant et l’appliquer à l’ensemble des universités.
Comment pourrait-on, en bref, réaliser une telle expérience, si besoin était ? Il faudrait évidemment que les contestataires définissent un projet commun de réforme, mais on peut leur faire confiance car ils en ont certainement les capacités intellectuelles. Il faudrait aussi que le gouvernement accepte de jouer le jeu, mais on peut faire confiance à sa capacité d’innovation. Les intéressés devraient d’abord se mettre d’accord sur le choix de deux universités pour effectuer les tests, en fonction de leur potentialité équivalente et sur la base du volontariat, et s’en remettre au tirage au sort pour l’attribution des deux réformes à tester. Ils devraient ensuite s’entendre sur les objectifs visés et sur le choix d’évaluateurs indépendants, capables d’apprécier l’impact et la validité de ces réformes. Elles devraient être appliquées aux deux universités pilotes en totalité et en accéléré, pour obtenir des résultats dans un délai acceptable (de l’ordre d’un an à partir de leur mise en œuvre). Leur financement devrait être fixé d’un commun accord, de manière raisonnable compte tenu de la conjoncture difficile. Cette double expérience devrait se dérouler en toute transparence pour que les Français puissent suivre en permanence son évolution, ses conséquences et ses résultats. Pendant son déroulement, la réforme en cours (LRU) pourrait marquer des pauses si nécessaire, ou se poursuivre sans précipitation, en tout cas en prenant le temps de vraies concertations. Lorsque l’expérience des deux universités pilotes serait achevée, soit la Ministre devrait revoir sa copie, soit les opposants seraient obligés d’adhérer sans réserve à sa réforme. Voilà une solution possible si l’on veut que nos universités soient enfin réformées au mieux de l’intérêt général.

  1. Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités, votée le 10 août 2007.
  2. « Il est très difficile de convaincre que nos intentions sont pures », interview de Valérie Pécresse, Métro, 3 juin 2009.
  3. « Comment poursuivre sereinement la réforme des universités ? », Le Figaro, 3 février 2009.
  4. Par exemple B. Monthubert, secrétaire du PS à l’enseignement supérieur, « Il faut remplacer la loi d’autonomie des universités », La Croix, 11 mai 2009 ; « Vingt-neuf personnalités lancent un appel pour ‘refonder l’université’ », Le Monde, 15 mai 2009.

 

33. Article de La Croix, 22 juin 2009, Et si on testait sérieusement la réforme?, par Josette Elayi, chercheuse honoraire au CNRS (1)

Le dernier piquet de grève étudiant à l’université de Toulouse II a été levé le 12 juin. Le mouvement de contestation contre la réforme des universités ou certains aspects de cette réforme (LRU = Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités, votée le 1er août 2007) a été le plus long de l’histoire récente et a revêtu des formes multiples, y compris la grève de la faim. Il est trop tôt pour dresser un bilan, mais on en perçoit déjà les effets visibles et les conséquences prévisibles. Les contestataires ont obtenu certaines satisfactions : modification du statut des enseignants chercheurs, gel des suppressions de postes en 2010 et 2011, report de la mastérisation. Mais les étudiants ont été les premières victimes, surtout les plus fragiles : réduction des cours, examens repoussés, valeur des diplômes mise en doute. L’image des universités s’est dégradée sur le plan français, détournant sans doute une partie des nouveaux étudiants vers les grandes écoles et les IUT. Il est à craindre aussi que nos universités ne s’améliorent pas dans les classements internationaux et deviennent moins attractives pour les étudiants étrangers.
A qui la faute ? Le gouvernement et le mouvement contestataire n’ont cessé de s’accuser « de casser le service public », mais là n’est pas le fond du problème. Tout d’abord, est-on sûr que la crise des universités est terminée et que la contestation ne reprendra pas de plus belle à la rentrée ? Et que fera-t-on si la réforme reste inachevée ou se dénature à force de temporisation et de compromis ? La tâche du gouvernement est certes difficile car on connaît l’échec des gouvernements successifs à réformer l’enseignement supérieur et la recherche. La réforme doit être maintenue car tous s’accordent sur sa nécessité pour s’adapter au contexte international et à la situation de crise. Mais l’approche devrait être renouvelée car on ne peut pas ignorer le malaise réel des universités qui s’est exprimé à travers le mouvement de contestation. Il existe tout de même des solutions réalistes et responsables, autres que le passage en force ou le statu quo, pour une application consensuelle de la réforme des universités qui, rappelons-le, doit s’articuler avec la réforme de la recherche.
Pour vérifier si la LRU est une réforme valable, on pourrait d’abord la tester dans une université pilote. Si le mouvement contestataire a refusé la LRU, c’est parce qu’il a une autre conception de la réforme, comme on a pu le vérifier dans certaines déclarations des uns et des autres. On pourrait donc proposer un deuxième test de la réforme telle que la conçoivent les contestataires. Le test qui se serait avéré le plus concluant permettrait de choisir la réforme la mieux adaptée à l’ensemble des universités.
Une telle expérience est-elle réalisable ? En bref, les contestataires devraient d’abord être capables de définir un projet commun de réforme, et le gouvernement devrait accepter de jouer le jeu. Les intéressés se mettraient d’accord sur le choix de deux universités pour effectuer les tests, en fonction de leur potentialité équivalente et sur la base du volontariat, et s’en remettraient au tirage au sort pour l’attribution des deux réformes à tester. Ensuite, ils devraient définir les objectifs visés et choisir des évaluateurs indépendants, capables d’apprécier l’impact et la validité de ces réformes. Elles devraient être appliquées aux deux universités pilotes, non pas par étapes comme maintenant, mais en totalité et en accéléré, pour obtenir des résultats significatifs assez rapidement. Leur financement serait fixé d’un commun accord, de façon raisonnable compte tenu de la conjoncture difficile. Les Français devraient pouvoir suivre en permanence l’évolution de cette double expérience, ses conséquences et ses résultats. Pendant son déroulement, la réforme en cours (LRU) pourrait marquer des pauses si nécessaire, ou se poursuivre sans précipitation, en tout cas en prenant le temps de vraies concertations. Voilà une des solutions possibles pour que nos universités soient enfin réformées avec un large consensus et au mieux de l’intérêt général.
* Auteur de La face cachée de la recherche française, Idéaphane, 19 €.

 

34. Article paru dans La revue pour l’histoire du CNRS, 10e année, n° 24, édition spéciale, 19 octobre 2009, La Phénicie étudiée à travers le prisme de l’histoire, par Josette Elayi

Au cours de sa carrière, menée pour l’essentiel au CNRS, Josette Elayi a développé une méthode historique pluridisciplinaire, mêlant épigraphie, numismatique, archéologie, économie et sociologie, qu’elle a appliquée à l’histoire des Phéniciens.

Rendre à César
En 1982, lorsque j’ai été recrutée comme chercheur confirmé, après 12 ans dans l’enseignement, j’avais mis dans le CNRS, organisme que beaucoup nous enviaient, de grandes espérances. Mon domaine de recherche – l’histoire de l’antique Phénicie – , absent des universités, y était préservé au sein de la section orientaliste, qui a existé jusqu’en 1991, puis dans la section regroupant les études sur l’Antiquité. Le CNRS m’a permis faire de la recherche à plein temps, sans obligation d’enseignement et en toute liberté pour le choix de mes orientations. Je n’aurais certainement pas pu le faire si j’avais continué à donner 18h de cours hebdomadaires. Devenue fonctionnaire en 1984, j’ai pu bénéficier de conditions exceptionnelles pour développer mon ambitieux programme scientifique.

Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles...
Mais c’était sans compter sur le Comité national qui, sous une apparence scientifique et démocratique dans son évaluation de la recherche, faisait parfois preuve d’un corporatisme archaïque teinté d’auto-évaluation et d’opacité. Il a commis de temps à autre des erreurs d’appréciation tant au niveau du recrutement que de la promotion des chercheurs et des équipes. La qualité de la recherche française en a quelque peu pâti, comme le montrent presque tous les indicateurs internationaux. Dans la crise de la recherche qui a éclaté au grand jour en 2004, je me suis engagée pour soutenir une réforme vitale, dans les médias et ailleurs, en soulignant deux points fondamentaux susceptibles de donner un nouveau souffle au CNRS : obligation de résultats et changement du système d’évaluation tenant compte de la donne internationale. J’ai été consultée à plusieurs reprises par les ministres de la recherche successifs, en particulier pour la création de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui a démarré en 2007 et dont le fonctionnement nécessite la plus grande vigilance.

Petite historiographie
Sans appui du Comité national, j’ai constitué mon propre groupe de recherche, fondé sur un réseau scientifique international, en collectant des crédits publics et privés pour le faire fonctionner. Comme moyens d’expression, j’ai créé une série internationale spécialisée, Transeuphratène, et une collection de monographies historiques, et ai organisé une trentaine de rencontres internationales et locales. Mon programme scientifique pluridisciplinaire avait pour objectif de développer le domaine peu exploré de l’histoire phénicienne avec une méthodologie originale et de nouveaux outils. Dans une perspective contextuelle, j’ai ouvert pour mon groupe un nouveau champ de recherche sur la Transeuphratène à l’époque perse, que nous avons développé en suscitant la création de nouvelles initiatives sur le plan international. La reconnaissance par la communauté scientifique de l’importance et de l’originalité de mon entreprise et de mes résultats scientifiques, empêchera, espérons-le, l’histoire de l’antique Phénicie de trop vite sombrer dans l’oubli.

Josette ELAYI est chercheur honoraire au CNRS et éditrice.

A lire :

  1. J. Elayi, Réflexions croisées sur le ‘métier’ d’historien du Proche-Orient antique, Gabalda, 2004
  2. J. Elayi, La face cachée de la recherche française, Idéaphane, 2005.

Illustration : Un document biblique majeur : sceau en agate du 7e siècle av. J.-C. mentionnant le nom du grand prêtre de Jérusalem, auteur de la torah.


35. Article de  Diplômées, n° 235, Décembre 2010, Le nouveau Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS), par Josette Elayi

En 1998, Claude Allègre avait créé un conseil pour travailler sur l’organisation et l’avenir de la recherche en sciences humaines et sociales. La ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur Valérie Pécresse a décidé en septembre 2009 de faire renaître ce conseil en créant le CDHSS. Par ses travaux, ce conseil vise à éclairer la ministre en formulant des propositions sur les grandes orientations, les structures, les priorités thématiques et les équipements qui concernent ce secteur.

Le rapport de l’année 2009-2010, remis à la ministre le 13 octobre dernier (« Pour des sciences humaines et sociales au cœur du système d’enseignement supérieur et de recherche »), a mis en évidence les enjeux qui traversent aujourd’hui les SHS. Il a proposé d’orienter la Licence vers un enseignement plus généraliste, de renforcer les missions d’orientation et d’insertion professionnelle des universités et de revaloriser le métier d’enseignant-chercheur. Il a fait des propositions pour améliorer l’évaluation et pour favoriser l’internationalisation de la recherche. Il a enfin joué un rôle décisif dans la naissance d’ATHENA, l’alliance des sciences humaines et sociales, destinée à coordonner la recherche, à faciliter le décloisonnement disciplinaire et les collaborations avec les autres champs du savoir.

La composition du CDHSS 2010-2011 a été partiellement modifiée : notamment le nombre de femmes y est passé de 5 à 10. Il est toujours présidé par Marie-Claude Maurel (EHESS), avec un nouveau rapporteur : Marina Mestre Zaragoza (ENS Lyon). La plupart de ses 32 membres sont parisiens, mais il compte également 6 provinciaux (Lyon, Bordeaux, Aix-Marseille) et 4 étrangers (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne). Presque tous ses membres appartiennent à l’enseignement supérieur et à la recherche : universités et instituts (17), grandes écoles (7), CNRS (3), Collège France (1). Les disciplines qu’ils représentent sont aussi variées que possible : histoire (ancienne, médiévale et contemporaine), archéologie, langues, littérature, géographie, philosophie, psychologie, sociologie, économie, gestion, droit, sciences politiques, de l’information et de la communication, marketing... Le conseil comprend aussi 4 « personnalités qualifiées » dont 2 appartiennent à l’industrie.

Pour la deuxième année de sa mission, le CDHSS a été notamment chargé par la ministre d’accorder une attention particulière à la question des interfaces entre les disciplines et entre les grands champs de la connaissance. Il lui a été demandé d’explorer les enjeux de formation pour que la filière des SHS puisse garantir aux étudiants, à chaque étape de leur parcours, leur insertion professionnelle. Il doit envisager la création de référentiels de Licence avec l’acquisition d’une culture dite « générale ». Enfin, il a été chargé d’étudier la question de l’agrégation et du lien entre l’enseignement secondaire et supérieur, de réfléchir à l’avenir de l’édition scientifique, à la diffusion et à l’internationalisation de la recherche en SHS, et de réexaminer le rôle des centres français à l’étranger. La réforme de la recherche et de l’enseignement supérieur est une réforme longue et complexe, et le maintien de la ministre Valérie Pécresse à son poste est positif en ce sens qu’il va lui donner du temps pour continuer à l’appliquer et lui permettre de la finaliser.

Josette Elayi, chercheur honoraire au CNRS

Note : le CDHSS a remis son rapport final à Valérie Pécresse le 13 octobre 2010 : communiqué de presse du CDHSS et discours prononcé par Valérie Pécresse ainsi que le texte du rapport sur le site du MESR.

36. Article de La Croix, 28 juillet 2010,  "Préserver notre passé", par Josette Elayi

L’homme moderne peut-il ignorer la connaissance du passé ? Dans un monde en accélération permanente, qui se déshumanise et dont les repères disparaissent, l’enracinement dans le passé est pour lui une des conditions de sa survie. Chaque nation a écrit son histoire au fil des siècles depuis l’Antiquité et elle se doit de conserver ce patrimoine culturel qui constitue son identité et nourrit ses valeurs. Par exemple, notre société moderne a besoin, surtout depuis les années 1990, d’histoire commémorative, célébration en commun d’événements et de lieux de mémoire de l’histoire nationale, considérés comme fondateurs et chargés d’une signification symbolique. Toutefois, ce besoin légitime est trop souvent dévié de la connaissance scientifique de l’histoire et exploité à des fins commerciales ou politiques. Les spécialistes du passé sont là pour nous mettre en garde.

Nos musées collectionnent précieusement les objets qui ont échappé à la destruction du temps, et des expositions sont organisées sur différents thèmes. A l’ère d’Internet où nous vivons, émergent de plus en plus des musées virtuels qui nous permettent de visiter les collections du monde entier sans nous déplacer. On peut ainsi éviter les queues dissuasives à la porte des expositions les plus prestigieuses et les visiter tranquillement, en restant chez soi devant son ordinateur. Bien sûr, nous pouvons nous contenter d’une admiration esthétique des objets du passé, mais en général nous préférons les comprendre et nous lisons les notices explicatives, les guides des musées et les catalogues. Comment sont rédigées toutes ces explications ? Elles se nourrissent des travaux publiés par les chercheurs et n’existeraient pas sans eux. Que serait le code d’Hammourabi, premier code législatif de l’humanité, si un assyriologue n’avait pas travaillé pour le traduire ? Le cratère de Vix, trouvé dans la tombe d’une princesse gauloise, resterait une énigme si un spécialiste de l’époque gallo-romaine ne l’avait pas étudié.

Dans la réforme qui bouleverse le monde de la recherche depuis 2004, les chercheurs spécialistes des cultures du passé sont sérieusement menacés de disparaître, aussi bien dans les organismes de recherche que dans les universités. Leurs disciplines sont trop nombreuses et ne sont pas prioritaires car elles ne répondent pas à des besoins vitaux ni à des enjeux économiques et stratégiques. Les plus menacées sont celles qui ne sont plus enseignées car des chercheurs ne peuvent plus être formés. Pourtant, nous avons besoin de ces chercheurs pour nous expliquer les objets exposés et connaître le passé. Alors, quelles sont les solutions possibles ?

L’attitude de la ministre Valérie Pécresse semble positive dans ce domaine : elle a mis en place en septembre 2009 le CDHSS (Conseil pour le Développement des Humanités et Sciences Sociales) pour réfléchir sur les grandes orientations, les structures, les priorités thématiques et les équipements des sciences humaines et sociales. Mais la représentation dans ce conseil des sciences du passé (archéologie, histoire ancienne, langues mortes, recherches sur des aires culturelles...) y est quasi inexistante.

Un choix drastique des disciplines à conserver doit être fait car on ne peut pas tout conserver, mais selon quels critères et par qui ? Ces critères ne devraient pas être la rentabilité ni l’idéologie, mais la pertinence scientifique, basée sur une vision réaliste des contraintes imposées par la conjoncture actuelle difficile. Il faudrait par exemple opérer un recentrage disciplinaire en supprimant les doublons inutiles et ruineux, en utilisant la recherche privée, le mécénat et en cherchant des solutions à l’échelle européenne dans une politique de collaboration et de mobilité.

Le 1er juin dernier, dans une réunion au ministère, la ministre a déclaré : « Les SHS (les sciences humaines et sociales) doivent être au cœur des investissements d’avenir ». Dans cette perspective, il est primordial d’entretenir une pépinière de chercheurs capables de nous donner les clés du passé. Cela peut nous permettre de corriger des idées reçues, des visions simplistes et malveillantes, et de mieux comprendre notre histoire et l’histoire de notre temps. La politique de recherche que mène le gouvernement, légitimement axée sur l’avenir, n’empêche pas le maintien de ce petit secteur des SHS pour préserver notre passé.

 

 

37. Article du Monde.fr, 16 avril 2010,  "Dans quelle direction va le CNRS ?", Point de vue, par Josette Elayi

La direction du CNRS a changé : Alain Fuchs est le nouveau président, nommé en conseil des ministres le 20 janvier. Ce polytechnicien d'origine suisse, ancien directeur de recherche au CNRS et professeur d'université, était depuis 2006 directeur de l'Ecole nationale supérieure de chimie de Paris. L'ancien système de direction bicéphale avait été modifié en janvier 2006 par le ministre François Goulard en raison d'un conflit opposant le président au directeur : il avait nommé directeur Arnold Migus, sur proposition de la présidente Catherine Bréchignac. Le nouveau président, seul maître à bord, "devra continuer la mise en place de la réforme de l'organisme", a précisé la ministre Valérie Pécresse. Il va s'engager "sans réserve dans une politique de partenariat renforcé avec les établissements d'enseignement supérieur et de recherche autonomes". Rappelons que le CNRS, qui vient de fêter en 2009 son 70e anniversaire, emploie aujourd'hui environ 11 500 chercheurs statutaires, contrôle 1 100 unités mixtes de recherche et que son budget  2009 s'est élevé à 3,06 milliards d'euros.

Qu'est-ce qui change pour le CNRS ? Le financement de la recherche sur projets se développe depuis la création, en 2006, de l'ANR (Agence nationale de la recherche) plus rapidement que les crédits accordés au CNRS. Le rôle des universités dans la recherche s'amplifie, avec l'hébergement de 90 % des unités mixtes de recherche. L'AERES (Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) grignote peu à peu les prérogatives du tout-puissant comité national : il est maintenant dessaisi de sa fonction d'évaluation et n'émet plus que des "avis de pertinence".

En outre, les chercheurs commencent à être convoqués dans des entretiens dits de "suivi post-évaluation". La pratique de l'appel d'offres pour recruter des chercheurs s'est mise en place, par exemple à l'Université européenne de Bretagne. En novembre 2009 a été créé le "Meetic de la recherche", site de rencontre visant à multiplier les partenariats entre les laboratoires publics et les entreprises. Une politique de primes d'excellence scientifique a été adoptée au CNRS depuis 2009. La mobilité des chercheurs s'organise. Le ministre du budget d'alors, Eric Woerth, a annoncé que le CNRS serait soumis aux mêmes réductions d'effectifs et économies que les administrations d'ici trois ou quatre ans. Le CNRS a été découpé en 10 instituts thématiques par un décret du 1er novembre 2009. Le contrat de plan qu'il a signé avec l'Etat à l'automne dernier indiquait qu'il devait être à la fois un opérateur de recherche et une agence de moyens finançant la recherche universitaire. Trois priorités lui étaient fixées : continuer à produire des connaissances scientifiques de haut niveau, satisfaire les demandes de la société en répondant aux "grands défis planétaires" et faire émerger de "nouvelles technologies de pointe". Le grand emprunt devrait aussi "doter notre enseignement supérieur et notre recherche de moyens considérables pour réussir le pari de l'intelligence".

Les opposants à la réforme ont dénoncé le démantèlement du CNRS par le biais de la politique managériale du gouvernement, la tutelle du secteur privé, la direction des affaires par des élites en cercle restreint au nom d'une prétendue excellence et le chantage à la dotation financière. Ils ont vu dans cette politique une régression historique rappelant le XIXe siècle, où régnait un mandarinat universitaire "bien-pensant", avec la fin de l'indépendance des chercheurs et le dirigisme de l'Etat sur la recherche.

Pourtant, après le long et dur mouvement contre la réforme des universités du premier semestre 2009, l'automne a été calme, on n'enregistre aucune action protestataire et les syndicats de chercheurs et d'universitaires se taisent. A tel point que le président Nicolas Sarkozy, dans ses vœux de début d'année, a longuement loué les capacités des chercheurs et des enseignants à "comprendre les enjeux" et à "s'adapter", après leur avoir reproché leur conservatisme l'année précédente : "Je sais que je peux compter sur vos compétences et sur votre énergie pour que notre pays conforte sa place de premier rang dans la recherche mondiale."

Concrètement, le CNRS paie cher ses erreurs passées, ses dysfonctionnements et son immobilisme, mais tous s'accordent à reconnaître que sa réorganisation était indispensable. Il est clair que le CNRS de demain ne ressemblera en rien à celui d'hier. Souhaitons que les acteurs de cette réforme sachent promouvoir le "nouvel âge d'or de la recherche" qui "sauvera des emplois", annoncé par Valérie Pécresse.

Josette Elayi est chercheur honoraire au CNRS, auteur de La Face cachée de la recherche française, Paris 2005, Idéaphane.

38. Article du Figaro, 18 mars 2013, "Ne pas laisser mourir les langues anciennes", par Josette Elayi.